Nous n’avons pas le droit d’être défaitistes

lucien-bouchard (1)

Depuis longtemps profondément agacé par trop de déclarations intempestives faites par trop d’ex-dirigeants du mouvement souverainiste, je suis aujourd’hui quasi scandalisé par le caractère déloyal de certains propos que vous avez tenus lors de certaines interventions médiatiques effectuées dans le cadre de la parution du documentaire Nation portant sur le bilan de votre carrière.

 

Militant souverainiste depuis 1961, j’ai eu le privilège d’avoir été élu à Ottawa en 1993 jusqu’en 2004, année où je me suis retiré, et je suis demeuré militant avant, pendant et après les élections et les référendums, et ce, d’ailleurs, comme quelques milliers de Québécois anonymes oeuvrant bénévolement dans toutes les régions.

 

Je suis outré parce que votre prise de position sur « le ressort cassé de la souveraineté » va carrément à contre-courant de l’urgente et profonde réflexion à laquelle le peuple québécois devra inéluctablement s’astreindre un jour quant à son avenir politique.

 

L’année 2015 marquera le 25e anniversaire du rejet de l’entente du lac Meech. Pourquoi ne profitez-vous pas de cette occasion pour tenter de faire prendre conscience à notre peuple que la « société distincte » avancée par Robert Bourassa dans sa célèbre déclaration n’a aujourd’hui d’autre choix que de se comporter en « nation » libre et indépendante si elle veut être reconnue et respectée ?

 

Depuis la Conquête, la nation francophone d’Amérique est à « la recherche du temps perdu » et périodiquement certains se sont levés, courageusement, parfois même au péril de leur vie, pour inciter les Québécois à tourner cette défaite en victoire, tels les patriotes de 1837, les Honoré Mercier, Pierre Bourgault, Pierre Falardeau. Des centaines d’artistes, d’écrivains et d’universitaires se sont mis au blanc pour tenter de sortir notre peuple de la provincialisation.

 

C’est à cette lignée à laquelle appartient, à mon avis, Mario Beaulieu, lui dont le militantisme antérieur est indéniable, et ce, contrairement à chacun des trois chefs du Bloc qui ont siégé aux Communes. C’est peut-être pourquoi sa récente élection semble tant déranger…

 

Et vous dites aujourd’hui que « le Bloc dilue le pouvoir du Québec dans la confédération » et en conséquence vous suggérez que les Québécois devraient voter massivement pour un des partis « canadian » où certains députés du Québec pourront se démarquer et devenir des ministres influents.

 

Venant de n’importe quel autre personnage, de tels propos auraient été considérés comme de purs bobards. Venant de vous, il faut encore, pour un temps, composer avec…

 

Le salut du Québec consisterait donc à leur faire revoir de vieux films tristes comme Le French Power ou Les trois colombes […]. Non merci, M. Bouchard !

 

Et si le Bloc n’est pas là, comment le vote des centaines de milliers de souverainistes pourrait-il s’exprimer ? Au lieu de banaliser la présence du Bloc et de fabuler sur les dangers d’être soi-disant « absolument souverainiste », pourquoi ne pas parler de l’affaiblissement inexorable du Québec au sein du Canada et quant à son poids politique (ajout de 30 nouvelles circonscriptions dont seulement trois au Québec dès l’élection de 2015) et quant à son poids démographique (environ 20 % de la population d’ici quelques années) ou de la folklorisation éventuelle, après celle du Bloc et du PQ, du Québec tout entier, devenu un gros New-Brunswick, ou du néolibéralisme et de l’individualisme qui tue tout projet collectif, en un mot pourquoi ne pas parler de l’urgente nécessité de la souveraineté si nous voulons collectivement éviter l’extinction ?

 

Nous n’avons pas le droit d’être défaitistes, ne serait-ce que par devoir et loyauté envers la jeunesse québécoise. Quant à moi, une parole mémorable de Pierre Bourgault m’habite constamment : « Le Québec ne veut pas être une province pas comme les autres, mais bien un pays comme les autres. »

Yves RocheleauEx-député bloquiste de Trois-Rivières

Via Le Devoir