Le fleuron, Anglade et la Caisse

PC_160204_gk6a8_couillard-philippe-salon-rouge_sn635

À nouveau, le Québec perd un fleuron. Obnubilée par une vision accordant des vertus divines au « marché », la nouvelle ministre de l’Économie, Dominique Anglade, n’a pas tardé à qualifier la transaction de « bénéfique » pour le Québec.

Si on se fie à la ministre Anglade, la Caisse de dépôt et placement ne pourrait, à la suite d’une commande politique, bloquer une transaction telle que la vente de Rona à des intérêts étrangers. On voit qu’elle connaît très mal l’histoire de la Caisse, alors que les années d’or de celle-ci furent celles où, véritable levier, elle travailla étroitement de concert avec l’État québécois afin de lancer une véritable classe d’affaires québécoise, le Québec inc. Encore influencé comme il l’était par la dynamique de la Révolution tranquille, l’État québécois avait à l’époque un préjugé favorable à l’endroit de l’économie nationale, celle-là même que nous regardons passivement se dissoudre.

Pourquoi les libéraux sont-ils fondamentalement opposés au fait que la Caisse bloque la transaction ?

Il faut remonter à 2005 alors que le gouvernement de Jean Charest a changé le mandat de la Caisse. Surnommée « le bas de laine des Québécois », la Caisse a tout d’abord eu pour mission de protéger l’épargne et les retraites des Québécois, de sécuriser le capital et de constituer un réservoir de capitaux.

Peu à peu, le développement économique structurant s’est ajouté aux objectifs de l’institution. L’actif détenu par la Caisse est immense et digne des pays les plus riches au monde. Cela est presque surréel pour un pays non pétrolier. L’institution bénéficie aussi d’un rayonnement international impressionnant, notamment en Asie, aux États-Unis et en Europe. La puissance de la Caisse est objectivement incontestable. Elle est à l’origine de la naissance ou du sauvetage de nombreuses entreprises québécoises.

Or, en 2004, le gouvernement libéral l’a reprogrammé sur l’objectif du « rendement maximal ». Tout ce qui compte est donc le profit et non pas les retombées générales. La société d’État ne s’intéressant désormais qu’à ses colonnes de chiffres, c’est au « marché » que revient de s’occuper du bon fonctionnement économique du Québec. C’est là l’exposition d’un splendide mythe de l’économie, qui consiste à évaluer le succès en fonction du profit de l’institution plutôt que par les effets généraux sur la société.

La loi de 2004 sur la Caisse a confirmé, encadré et amplifié une réalité : celle du retrait de l’État d’un levier stratégique central dont il est l’actionnaire unique et avec lequel il a toujours agi en concertation. On se souviendra des résultats concrets du changement de vocation de la Caisse :  40 milliards de pertes par l’obsession du rendement maximal, s’étant traduit par un saut à pieds joints dans la spéculation financière.

Si la Caisse en venait à empêcher la transaction, elle poserait un geste de développement économique pour tous et non pas de rendement maximal pour elle. Nous en sommes bien loin. À mille lieues de représenter une bourde politique, les déclarations de Dominique Anglade sont de parfaits témoignages de la conception économique du parti au pouvoir.

Simon-Pierre Savard-Tremblay
Via La Presse