Ce billet de blogue est un texte collectif dont la liste des signataires se trouve en pied de page.
Transnationales supra-étatiques, atomisation des cultures nationales, démantèlement de l’État, judiciarisation du politique : la mondialisation n’est point la panacée qu’on nous a tant vendue.
N’en déplaise aux disciples et artisans des rouages du marché sans frontières, l’utopie mondialiste est responsable de la dissolution de l’économie québécoise. Ce «beau rêve» qu’est la mondialisation est aujourd’hui entièrement soumis à un système financier spéculatif complètement débridé, en plus de consacrer la montée de corporations transnationales parfois bien plus puissantes que les États.
Aujourd’hui, les grands fonds actionnariaux ont le pouvoir d’orienter les choix d’une compagnie et en détiennent le véritable contrôle. Pour eux, délocaliser ou mettre à pied des salariés n’est qu’un choix économique au service d’un objectif : la maximisation du profit. Si la recherche du profit n’est pas un problème en soi, il n’y a cependant qu’un pas à faire pour que cette logique spécifique s’envenime, ruinant de fait des centaines, voire des milliers de vies. Les actionnaires pèsent ainsi de plus en plus lourd dans les décisions des entreprises. En contexte de marchés financiers libéralisés, la mobilité des actionnaires est presque totale. Ils sont ainsi en mesure de se préparer des stratégies de sortie des entreprises à tout moment. Cela signifie que les salariés - et, parfois, les populations environnantes - sont les seuls à véritablement assumer les risques, pendant que les actionnaires peuvent imposer des objectifs de profit irréalistes et se départir de leurs actions avant que la catastrophe ne se produise, se dégageant ainsi de toute responsabilité.
Le libre-échangisme participe aussi à la fameuse judiciarisation du politique, de même qu’il célèbre l’enfermement de l’État dans des contraintes réglementaires.
Lorsqu’une multinationale s’installe en région, ce ne sont pas seulement les commerces locaux qui en souffrent, ce sont également les rapports entre l’offre et la demande qui s’en trouvent bouleversés. L’implantation d’une transnationale finit par tuer la concurrence locale, alors que le géant régnera sans partage sur un marché local captif. La gamme de produits s’élèvera d’ailleurs à peine au-dessus de la pacotille et les salaires versés par ces entreprises resteront plutôt bas, et ce, sans compter l’absence de bénéfices sociaux. Certaines transnationales ont acquis un pouvoir immense, quasi supra-étatique. Quant aux paradis fiscaux pour les puissants qui nous gouvernent, ils ne sont qu’un symptôme de cette mondialisation à tout-va.
Et au-delà de l’économie, il est question du social, de nos conditions de vie, de souveraineté d’un État, de culture aussi. En effet, de par l’occidentalisation du monde, l’uniformité stérile est reine et la culture des uns et des autres dangereusement en perdition. Et ainsi, la mondialisation a notamment sa responsabilité dans l’émergence des intégrismes religieux actuels. C’est là tout un paradoxe. Alors que «l’État-nation est battu en brèche, revient au centre des sociétés la question nationale […]Le mécanisme est donc profondément contradictoire : en unifiant il divise; en intégrant il exclut - en désacralisant il reconfessionnalise, en mondialisant il renationalise», d’écrire à ce propos Sami Naïr.
Le piège des accords de libre-échange
Quant aux traités de libre-échange (le Partenariat transpacifique (PTP), par exemple), ils imposent notamment la permanence des contraintes aux signataires. Lorsqu’il sera nécessaire de changer de direction, il sera trop tard, car juridiquement impossible pour l’État de procéder. Pourtant, aucun contrat - et un traité commercial en est un - ne devrait représenter autre chose que le résultat d’un contexte précis. Si ce contexte se modifiait, il serait fâcheux qu’un véritable arsenal juridique empêche tout changement de voie. Thomas Jefferson disait qu’aucune génération ne saurait être liée par les décisions prises par la précédente.
Plus encore, ces fameux traités sont le plus souvent négociés dans le secret le plus total, de peur que les peuples soient pris de panique quant aux bienfaits du libre-échange. Et ainsi, «les méandres des accords commerciaux découragent souvent les mobilisations, tant il est difficile de comprendre quelle étape surveiller de près, quelle disposition d’apparence technique dissimule une bombe sociale», de pointer Serge Halimi.
L’État est présenté par les idéologues de la mondialisation comme une entité de domination, vile et répressive.
Le libre-échangisme participe aussi à la fameuse judiciarisation du politique, de même qu’il célèbre l’enfermement de l’État dans des contraintes réglementaires. En effet, on ne doit pas oublier l’émergence de cénacles juridiques, composés de «rois philosophes» chargés d’interpréter les litiges, de trancher du bon et du juste.
Depuis que les accords de libre-échange prolifèrent, des clauses y sont incluses afin de soutenir le démantèlement de politiques nationales en favorisant les poursuites des États par les investisseurs étrangers si ceux-ci estiment que leurs profits sont menacés. Il deviendra ainsi de plus en plus ardu pour un État de légiférer sur des questions de bien commun liées, par exemple, à la justice sociale, à l’environnement, aux conditions des travailleurs ou à la santé publique si la compagnie transnationale se croit lésée. En cas de différend, un tribunal supranational sera chargé de rendre son jugement à la lumière de son interprétation du traité. Les litiges sont généralement longs et par conséquent très lucratifs : les firmes d’avocats en rêvent déjà. Si la souveraineté ne relève du politique, la voici désormais déléguée à des institutions qui n’ont d’autre base que celle du juridisme.
L’État, rempart de la démocratie
L’émergence d’un droit international… sans États, surfant sur le vaste monde et évacuant le social, s’accompagne d’une fronde sans pareil contre l’État, celui-ci présenté par les idéologues de la mondialisation et pseudo-intellectuels de la modernité comme une entité de domination, vile et répressive.
La souveraineté de l’État est pourtant une condition essentielle à la démocratie, pour redonner tout son sens à l’engagement politique. Que signifie, par exemple, l’élection d’un gouvernement si celui-ci en vient à être chargé d’une entité complètement impuissante? C’est la société en elle-même qui se trouve neutralisée. Les jeunes ne veulent plus de sermons sur leur participation à l’avenir de leur collectivité : pour y contribuer, encore faut-il qu’il leur reste quelques moyens pour le faire. En plus des fuites de sièges sociaux et de la mort du Québec Inc., nos instruments tels qu’Hydro-Québec et la Caisse de dépôt et placement ont été détournés de leur vocation première et soumises aux intérêts d’affairistes; ils sont plus que jamais menacés de dislocation.
L’avenir se couche ainsi sur une démondialisation qui restitue le pouvoir d’agir de l’État et qui nous permette de penser l’économie nationale à travers de nouvelles bases, rejetant les mythes habituels d’une économie libérale prétendant à tort reposer sur des bases scientifiques et d’autorités.
Ce texte est cosigné par Florence Beaudet, Sébastien Bilodeau, Étienne Boudou-Laforce et Simon-Pierre Savard-Tremblay - soit l’exécutif de Génération nationale.