Indépendance: le monopole de la gauche contesté

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Dans une campagne électorale où ressort le thème de la souveraineté, les jeunes indépendantistes de droite tentent de trouver leur niche. Ils considèrent que la question d’indépendance du Québec est depuis longtemps « monopolisée » par la gauche.

«L’arrivée de Pierre Karl Péladeau au Parti québécois [PQ], c’est une excellente nouvelle pour nous, les souverainistes », lance Albert Morin dans un cours de science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il reçoit aussitôt des regards sceptiques de ses collègues indépendantistes de gauche. Albert Morin fait partie des quelques jeunes souverainistes de droite qui, à chaque élection, sont tiraillés entre leurs idéaux identitaires et économiques.

Originaire de la Gaspésie, Albert Morin, 22 ans, a fait ses classes dans le monde politique comme militant du Parti libéral du Québec. C’est en voyageant qu’il est devenu indépendantiste. « J’ai remarqué à quel point la culture est importante pour un peuple », raconte-t-il.

Lors des élections fédérales, le jeune homme vote pour le Parti conservateur du Canada (PCC). Il considère que ce parti est le moins centralisateur, qu’il correspond à sa vision de l’économie et qu’il véhicule des valeurs qui lui sont chères, comme le travail et la famille. Albert Morin connaît peu de gens ayant la même idéologie que lui, à l’exception de son bon ami Olivier Grégoire.

Pierre-Olivier Campagna, étudiant de 23 ans à la maîtrise en technologies de l’information à HEC Montréal, est lui aussi un souverainiste de droite économique. Ce jeune homme est un militant actif du PCC. Il dit ne pas être le seul indépendantiste chez les conservateurs. « Mais ce n’est pas tout le monde qui ose l’afficher », admet-il.

Le retour de la gauche et de la droite

Le candidat à la maîtrise a toujours été souverainiste. Il est devenu conservateur économique au cégep, lorsqu’il en a appris davantage sur les finances publiques. « Moins il y a de paliers de gouvernement, mieux c’est. Actuellement, certains ministères sont doublés », explique Pierre-Olivier Campagna.

Dans les rassemblements souverainistes, Pierre-Olivier Campagna doit sans cesse défendre sa façon de penser. « Aux états généraux sur la souveraineté du Québec, j’ai passé mon temps à dénoncer les groupes souverainistes qui disent : “Tu es souverainiste ? Cool. De droite ? Ah, bien, finalement, on ne te veut pas dans notre groupe”», se remémore-t-il.

La séparation entre la gauche et la droite est de plus en plus visible au sein du mouvement souverainiste, constate le sociologue indépendantiste Mathieu Bock-Côté. « On dit : “Les souverainistes plus conservateurs, on veut bien de votre vote lors d’un référendum, mais d’ici là, vous ne participez pas à notre définition du projet souverainiste.” »

« C’est comme si le mouvement indépendantiste devait nécessairement être lié à toutes les idées progressistes », déplore Simon-Pierre Savard-Tremblay, président fondateur de Génération nationale, mouvement souverainiste que l’on qualifie de centre droit en raison de son conservatisme identitaire et de son positionnement favorable aux institutions traditionnelles. « On conteste le monopole de la gauche sur l’indépendantisme », dit le jeune homme de 25 ans.

Selon Mathieu Bock-Côté, la perte de popularité de la question indépendantiste explique la division des souverainistes. « À la base, le PQ regroupait des gens de droite et de gauche. Puisque l’indépendance a été reportée dans le temps [après l’échec des deux référendums], elle a perdu de l’importance au sein de la population. Le Parti québécois a dû privilégier d’autres orientations, comme la social-démocratie. »

Recréer une coalition

Le Parti québécois semble courtiser de nouveau les souverainistes de la droite identitaire, observe Mathieu Bock-Côté. « Avec l’ouverture à des nationalistes plus conservateurs dans les régions et l’arrivée de Pierre Karl Péladeau, le Parti québécois cherche à rebâtir une coalition. La question est de savoir : est-ce trop peu trop tard ? »

Le sociologue prévient néanmoins qu’un virage complètement à droite n’est pas souhaitable pour le PQ. « Cela reviendrait à faire la même erreur à droite qu’il a faite à gauche. »

Ce déplacement du PQ n’est toutefois pas suffisant pour conquérir les souverainistes de droite économique, selon les jeunes interrogés. Devraient-ils fonder leur propre parti ? « C’est de la folie, répond Jean Garon, membre fondateur et ex-ministre du PQ. Le but de l’indépendance, c’est de regrouper les gens, pas d’avoir quatre partis indépendantistes. »

La porte-parole de Québec solidaire, Françoise David, rejette quant à elle l’idée de coalition. « Il y a une limite à vouloir ratisser tellement large que les gens vraiment à gauche comme moi devraient vivre chaque jour dans un parti qui, la plupart du temps, prend un virage à droite. » Elle croit néanmoins que, lorsque viendra le temps de faire le pays, les indépendantistes devront s’allier.

D’ici là, Pierre-Olivier Campagna et Albert Morin évaluent pour quel parti ils voteront le 7 avril. Ils hésitent entre un PQ trop à gauche à leur goût et une Coalition avenir Québec ou un Parti libéral pas assez souverainistes. « Pour l’instant, je vote blanc », avoue Pierre-Olivier Campagna.

Via Le Devoir