Dans l’ombre des aléas médiatiques du souverainisme « officiel » se cache une lutte idéologique plus profonde qui divise le mouvement indépendantiste moderne. À l’intérieur du Parti québécois, comme dans la société civile, les tenants de l’étapisme affrontent les indépendantistes qu’ils appellent « purs et durs », que nous appellerons ici les « radicaux ». De l’extérieur du mouvement, on ne peut voir de cet affrontement que les éclats des batailles les plus dures alors qu’à l’intérieur, l’opposition est endémique.
D’une part, l’aile électoraliste du Parti québécois a réussi à transformer un mouvement social qui pensait le Québec en État indépendant en un parti politique qui passe l’essentiel de son énergie à envisager ce qu’il fera du pouvoir provincial. L’essentiel du temps, l’intelligence et l’argent du mouvement y passent. Le Bloc Québécois a été aussi affecté par cette mouvance, l’essentiel de ses ressources ayant été consacrées à critiquer le régime fédéral dans ses actions plutôt qu’à remettre en question sa légitimité.
D’autre part, une minorité d’indépendantistes (les radicaux) se regroupent toujours autour d’un refus de concevoir l’indépendance comme un projet idéalisé. Elle préfère la démocratie québécoise au cadre constitutionnel canadien qu’elle considère comme illégitime. Ces militants jugent que la légalité constitutionnelle ne devrait pas arrêter le Québec de poursuivre ses intérêts, lorsque nécessaires. Diverses manifestations concrètes de cette logique d’action ont déjà été développées (rapatriement de l’assurance emploi, abolition du poste de lieutenant-gouverneur, par exemple), mais sans qu’ils ne fassent l’objet d’un programme documenté en bonne et due forme.
L’intensité de la lutte entre les deux clans est variable puisque depuis le départ de Jacques Parizeau et jusqu’à la création d’Option nationale, les ressources financières et humaines indispensables à s’organiser dans la durée ont manqué. Les radicaux ont eu à investir tant bien que mal une série de petites organisations ou de sous-structures du Parti québécois pour se perpétuer. Dans la société civile, il y eut la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, les Jeunes patriotes du Québec, l’Organisation du Québécois, Génération nationale pour ne nommer que ceux-là. À l’intérieur du Parti Québécois, de nombreuses tentatives de regroupement ont eu lieu autour d’un comté, d’une instance jeunesse ou d’une investiture sans qu’aucun groupe ne s’organise formellement. À tout le moins, depuis la tentative de faire du Mouvement pour une élection sur la souveraineté (MES) un club politique institué.
L’existence d’Option nationale offre présentement une plateforme plus durable et mieux financée pour perpétuer les idées des radicaux. Toutefois, elle reste d’une envergure trop modeste pour constituer à ce jour une réelle menace à l’establishment péquiste.
La crise qui affecte le mouvement indépendantiste n’épargne pas son aile motivée. Du point de vue logistique, nous avons beaucoup divisé nos forces et obtenu trop peu de victoires. Autre lacune importante, cette désorganisation s’est aussi matérialisée dans notre plateforme idéologique. Personne n’a pris le temps d’écrire notre histoire et de définir nos orientations. Cela nous confine généralement à une position réactionnaire, laissant généralement aux « officiels » péquistes le soin d’élaborer les réelles propositions qui seront soumises à la population au nom du mouvement indépendantiste. L’aventure d’Option nationale représente à mon sens un bon départ de ce que pourrait être une plateforme indépendantiste réelle. Il lui manque le travail de recherche nécessaire pour rendre opérationnelles ses différentes propositions et à démontrer leur faisabilité dans le réel.
C’est ici qu’intervient l’ouvrage « Le souverainisme de province » de Simon-Pierre Savard-Tremblay. Il s’agit d’un livre nécessaire en ce qu’il entame le travail de relecture de l’histoire du mouvement indépendantiste d’un point de vue radical. Notre courant idéologique peine à transmettre sa vision des choses à la nouvelle génération, souvent rapidement aspiré dans les structures et discours du souverainiste officiel. Sans incarner nos idées dans une lecture historique cohérente, il sera difficile de lui conférer une légitimité suffisante pour qu’elles se perpétuent. Le livre nous permet d’aller plus loin en faisant ressortir plusieurs événements historiques important mais moins connus qui permettent de mieux comprendre les réelles origines de l’étapisme, devenu depuis le dogme officiel des hauts sphères péquistes.
Fidèle à ses habitudes, Simon-Pierre a pris le temps de bien faire les choses. Lui-même issu de l’aile radicale du mouvement, il vulgarise sans difficulté le parcours historique du mouvement indépendantiste tel que nous le concevons. Si cette méthode chronologique est exhaustive et remplit bien ce qui semble être la finalité pédagogique de l’ouvrage, elle peut rendre la lecture un peu plus fastidieuse à qui connaît bien l’histoire du mouvement. Qu’importe, il était temps que quelqu’un pose les bases d’une histoire réellement indépendantiste du Québec moderne et nous donne une perspective suffisante.
L’auteur remonte le fil de l’histoire jusqu’à aujourd’hui. Il critique durement les élites récentes du mouvement. Cette condamnation ferme, doublée de la qualité générale de l’ouvrage, fait regretter au lecteur que la fin du Souverainisme de province suive si rapidement la conclusion du récit historique. M. Savard-Tremblay offre bien quelques pages de perspective à la fin de son ouvrage, mais elles ne font que souligner le fait qu’au bilan, notre courant idéologique ne dispose pas d’une stratégie claire pour l’avenir. Le travail qui reste à faire ne pourra être l’oeuvre d’un seul homme, mais espérons que M. Savard-Tremblay y participera.
Julien Gaudreau
Via Le Québecois