Finances et Indépendance : entrevue avec Maxime Duchesne

Maxime Duchesne est l’auteur du livre Finances d’un Québec indépendant, une étude qui affirme notamment qu’un Québec indépendant serait en meilleure posture qu’en 1980 et 1995


D’où vous est venue l’idée de faire une étude sur les finances d’un Québec indépendant ?

 

J’ai lu en 2012 le livre « Un gouvernement de trop » de Stéphane Gobeil, et j’ai tenté de trouver d’autres sources pour avoir un portrait plus complet de la situation. J’ai donc tranquillement commencé à regarder les comptes publics et les données de Statistique Canada, avant de me dire que je pourrais peut-être écrire un billet sur la situation du Québec dans le Canada. Puis je me suis dit que je pourrais pousser un peu plus loin en mettant à jour partiellement l’étude « Finances d’un Québec souverain » de François Legault, notamment en appliquant les pourcentages de l’étude aux données des Comptes publics du Canada de 2011-2012. Évidemment, les choses ont beaucoup changé depuis 2005, alors j’ai commencé à regarder par curiosité s’il serait possible de tout mettre à jour sans toucher aux données de 2005. J’ai commencé à fouiller dans les études de la Commission Bélanger-Campeau, du Secrétariat à la restructuration et de plusieurs autres économistes et je me suis rendu compte qu’en utilisant les méthodes de ces différentes études il serait peut-être possible pour une seule personne de tout mettre à jour. J’ai ensuite consulté des centaines de sources gouvernementales. Bref, sans trop le savoir, je m’engageais dans un (très) long projet qui n’a cessé d’augmenter et a mené à l’étude « Finances d’un Québec indépendant ». Pour vous donner une idée, j’ai commencé à toucher au sujet en 2013 et à écrire l’étude en janvier 2014, pour finalement soumettre mon étude au comité scientifique de l’IREC en décembre 2015, deux ans après avoir formellement débuté le projet.


Le dernier exercice budgétaire similaire a été réalisé en 2005, par François Legault. Avant cela, il faut remonter à 1973. Qu’est-ce qui explique selon vous que les souverainistes soient si peu portés à s’aventurer sur un tel terrain, alors que vous venez tout juste de réaliser un tel budget hypothétique ?

 

Il est important de spécifier que l’étude de François Legault en 2005 n’était pas un « budget de l’an 1 », bien qu’il ait été bizarrement présenté par le PQ à l’époque. C’était avant tout une analyse pro-forma. Un budget aurait impliqué des choix et aurait impliqué une variation de la croissance économique selon les choix et selon l’année. Il aurait aussi fallu considérer les effets de la transition sur le budget, ce qui en soit nécessiterait une autre étude d’analyse de sensibilité. Avant l’étude dirigée par François Legault, il y avait notamment les études du Secrétariat à la restructuration en 1994-1995 et les études de la Commission Bélanger-Campeau en 1991. J’ignore pourquoi le PQ n’a pas refait l’exercice depuis 2005 alors qu’il en a amplement les moyens. J’ai entendu dire par personnes interposées qu’ils avaient peur des résultats (déficits) et qu’ils ne voulaient pas s’aventurer sur ce terrain. Ce serait la même raison pourquoi ils ont refusé d’acheter une seule copie de mon étude lorsqu’ils ont appris que j’arrivais à des déficits plutôt qu’à des surplus comme Legault en 2005 et Gobeil en 2012.

 

Quelle est la différence entre votre étude et les autres par le passé ?

 

Je m’inspire fortement des études de la Commission Bélanger-Campeau, du Secrétariat à la restructuration, de l’étude du PQ de 2005 et même de Stéphane Gobeil, en ayant notamment calculé comme lui à la main tous les transferts au Québec tels que détaillés dans des centaines de pages des Comptes publics du Canada. Ma méthode est donc un amalgame des différentes méthodes, mais la présentation est similaire à celle de Legault en 2005.

 

Est-ce que votre démarche est similaire à celle d’un Stéphane Gobeil avec son livre Un gouvernement de trop (2012, vlb éditeur) ?

 

Complètement différente, mis à part du fait que, comme lui, j’ai dû me résigner à calculer à la main tous les autres transferts au Québec. J’ignore par contre s’il a, comme moi, attribué au Québec une part des transferts internationaux et des montants de moins de 100 000$ (qui ne sont pas détaillés par province dans les Comptes publics). La méthode à Gobeil était très différente des études passées et comportait une dose trop importante d’estimations, à mon humble avis. La méthode était également peu détaillée et peu expliquée, ce qui explique grandement pourquoi je l’ai rejetée.

 

Pensez-vous qu’il faille s’évertuer à donner du « lustre économique » au projet de pays (apporter des arguments économiques à l’idée indépendantiste), puisque par le passé le projet a davantage été lié à des enjeux culturels, identitaires et de langue ?

 

Oui, c’est d’ailleurs pourquoi j’ai voulu mettre à jour les études passées, car je croyais que c’était très important d’avoir des chiffres et personne d’autre ne le faisait ! J’ai donc entrepris d’étudier à fond la question. Mais peu importe que mon étude soit sortie ou non, il n’y a pas un seul économiste moindrement sérieux qui croit qu’un Québec indépendant ne serait pas viable. Pourtant, la perception populaire semble croire qu’un Québec indépendant ne serait pas viable sans les transferts fédéraux tels que la péréquation, perception largement entretenue par des groupes de pression. Or, la perception est la réalité en politique. Beaucoup de gens ne veulent donc pas entendre parler de l’indépendance tant que ce n’est « viable » et tant que le Québec est dépendant financièrement de l’Alberta et du reste du Canada. Bien entendu, le Québec contribue aussi aux montants reliés à la péréquation en contribuant, pour l’année 2013-2014, à environ 18% des revenus fédéraux. De plus, l’élimination des dédoublements et la faible présence du fédéral au Québec font aussi en sorte de dresser un portrait moins sombre pour le Québec. Bref, bien que le fédéral verse plus d’argent au Québec qu’il en reçoit, le Québec n’est pas dans une situation critique de dépendance et serait viable sur le plan des finances publiques s’il était indépendant. L’indépendance permet au Québec de faire face à ses enjeux avec tous ses moyens et prendre des décisions centrées autour de ses intérêts, notamment économiques, mais aussi culturels, linguistiques et identitaires.

 

On apprenait récemment que 41% de la population voterait Oui à un référendum sur la souveraineté, cette proportion grimpant à 52% chez les francophones, et ce alors qu’il n’y a pas actuellement de grande mobilisation envers le projet de pays; comment interprétez-vous ces chiffres et est-ce que cela vous encourage-t-il ?

 

Premièrement, 41% dans un sondage, ce n’est pas 41% dans les urnes : beaucoup d’indécis sont habituellement répartis entre le oui et le non alors que le statu quo serait plus confortant pour ces indécis. Tant les menaces de désastre économique des fédéralistes et les promesses de changements (toujours lors des campagnes référendaires et toujours à minuit moins une) font en sorte que ces indécis pencheraient plus du côté du non. Mais que ce soit 33% ou 41%, c’est plutôt élevé alors que le principal parti politique porteur du projet indépendantiste, le Parti Québécois, n’en parle que rarement et, lorsqu’il le fait, c’est plus souvent qu’autrement destiné aux militants lorsque vient le temps de récolter des dons et des bénévoles ! Les indépendantistes n’ont plus l’initiative depuis longtemps et laissent leurs adversaires contrôler l’agenda et les définir depuis trop longtemps. Dans ces circonstances, je suis surpris qu’il n’y ait pas plus de démobilisation chez les militants indépendantistes, bien que beaucoup soient « fatigués » et découragés. Il y a donc un certain potentiel pour la cause indépendantiste, mais ce n’est pas en promettant de ne pas mettre un sou dans le développement du projet que le PQ mobilisera !

 

Que pensez-vous de la tournure que prend la course à la chefferie au PQ et de la place que tient l’indépendance ? Pensez-vous que les aspirant(e)s à la chefferie devraient mettre au cœur de leur démarche des explications du pays réel, notamment à l’égard de ses finances hypothétiques ?

 

Je crois qu’il faut retourner à la base : quels sont les problèmes actuels du Québec et quelles pourraient être les solutions ? L’indépendance, en soi, n’est pas la solution à tout, mais elle permettrait dans certains cas de développer des politiques publiques adaptées aux problèmes, alors que la division des pouvoirs et des responsabilités fait en sorte que les politiques sont rarement aussi efficaces qu’elles ne pourraient l’être dans un Québec indépendant. Les candidats à la chefferie du PQ doivent revenir à la base et proposer un projet de pays centré autour des intérêts et des besoins de la population, sans pour autant tenter de leur faire croire que la souveraineté réglerait tous les problèmes.

 

La population se pose beaucoup de questions par rapport aux finances d’un éventuel pays, il y a des craintes et incertitudes chez plusieurs. Le gouvernement Couillard prétend qu’un Québec indépendant est voué à l’instabilité économique et sociale pendant des années. Que répondez-vous à de telles affirmations ?

 

Le changement, c’est par définition l’incertitude. Monsieur Couillard prétend que l’indépendance mènerait à l’instabilité économique, mais regardons du côté de la certitude avec ce que le statu quo nous a apporté : diminution marquée du poids économique du Québec dans le Canada, perte de sièges sociaux, émigration annuelle massive du Québec et j’en passe. Bref, ce que prédit M. Couillard advenant l’indépendance est exactement ce qui se passe en ce moment ! Sa « solution » semble être de toujours trouver de nouveaux moyens pour taxer ou couper, ce qui ne règle aucunement nos problèmes. Je ne dis pas que l’indépendance est la seule solution à tous nos problèmes, mais le temps ne règlera rien, au contraire. Nous avons besoin d’un changement de direction ambitieux et proposer le statu quo ne ferait que nous enfoncer davantage dans nos problèmes.

 

Vous affirmez qu’un Québec indépendant économiserait 4,1 milliards de dollars par année à cause des dédoublements administratifs avec le gouvernement fédéral. Brièvement, comment en arrivez-vous à ces résultats ?

 

Pour les économies, ce sont les économies en termes de pourcentages d’équivalent à temps complet économisés selon les études du secrétariat à restructuration appliquées aux charges de fonctionnement (sans subventions) du gouvernement fédéral imputées au Québec pour chaque programme/ministère. L’étude à Legault utilisait un procédé similaire, bien qu’il n’y avait pas beaucoup de détails sur la méthode exacte utilisée. François Legault avait également fait retirer plusieurs montants des dépenses imputables au Québec avant même d’établir le montant d’économies potentielles, ce qui explique son montant relativement bas (2,4 G$ pour 2003-2004 et 2,7 G$ pour 2005-2006). Par exemple, en rajoutant le parlement dans les dépenses imputables au Québec, les économies auraient été d’environ 2,5-2,6 G$ pour 2003-2004 et 2,8-2,9 G$ pour 2005-2006. Bien entendu, comme les dépenses imputées au Québec pour les autres charges de programmes sont plus importantes dans mon étude (17,9% du total canadien versus 17,4% pour Legault, ou 20 G$ vs 11,4 G$), le montant d’économies est plus élevé en chiffres absolus, mais relativement plus bas, ce qui laisse croire que d’autres économies pourraient être possibles sans affecter les services.

 

Vous affirmez qu’un Québec indépendant pourrait maintenir le dollar canadien à court terme, mais aurait aussi l’option de créer un dollar québécois. En quoi est-ce viable et y aurait-il une collaboration avec le Canada ?

 

Comme vous le savez, la monnaie circule librement et, de toute manière, le Québec possède déjà un peu moins de 20% de la masse monétaire canadienne. Le Canada ne pourrait donc pas, du moins de façon réaliste, empêcher le Québec d’utiliser le dollar canadien et même s’il trouvait un moyen, la valeur du dollar canadien chuterait fortement, ce qui serait néfaste pour l’économie canadienne, qui dépend aujourd’hui beaucoup sur ses exportations en pétrole. Par contre, le Canada pourrait empêcher le Québec de siéger à la Banque du Canada, ce qui me semble être un scénario réaliste. Même s’il laissait le Québec y siéger, le Canada ne ferait pas passer les intérêts québécois avant les intérêts canadiens. Ceci n’est pas différent de la situation actuelle puisque le Québec ne compose qu’environ 19% du PIB canadien et 23% de la population canadienne, ce qui fait en sorte que ses intérêts sont minoritaires et que s’il y a un conflit entre les intérêts québécois et canadiens, le gros bon sens fait en sorte que les intérêts de la majorité l’emportent. Ce n’est pas par méchanceté de la part du Canada, c’est tout simplement que le Québec pèse peu dans la fédération. Mais en n’ayant pas de siège à la Banque du Canada, le Québec perd également les revenus du « droit de seigneuriage » de la Banque du Canada. Le Québec aurait donc deux autres options. La première serait de créer un dollar québécois avec une valeur fixée au dollar canadien pour x nombre d’années et qui serait initialement utilisé conjointement avec le dollar canadien, ce qui lui permet de récupérer les revenus du « droit de seigneuriage ». La deuxième option serait de créer un dollar québécois sans valeur fixe. La dernière option est généralement crainte par les entreprises due à l’instabilité potentielle qu’aurait l’adoption d’une nouvelle devise, mais avoir un dollar québécois à valeur fixée au dollar canadien contournerait cette crainte et donnerait plus de flexibilité au Québec à moyen ou long terme. C’est d’ailleurs l’une des critiques que je fais à une partie du mouvement souverainiste qui pourfend l’Alberta pour le « mal hollandais » que l’exploitation du pétrole cause et juge que ceci justifie l’indépendance… mais propose de garder le dollar canadien advenant l’indépendance, ce qui ne règlerait aucunement le problème à moyen et long terme !

 

Quels sont les points saillants de votre étude ?

 

Il y a des milliers de chiffres dans mon étude, alors pour faire très simple : un Québec indépendant serait viable sur le plan budgétaire malgré la perte des transferts fédéraux (incluant la péréquation). Le Québec se positionnerait également très favorablement par rapport aux autres États du G7 et du G20 tant pour le solde budgétaire que pour sa dette comparée à son PIB.

 

Qu’adviendra-t-il avec la dette québécoise et la dette du gouvernement fédéral ?

 

La dette québécoise demeurerait québécoise. Par contre, la dette fédérale demeurerait au nom du gouvernement fédéral et ne pourrait pas être transmise automatiquement. Le gouvernement fédéral devrait donc négocier de bonne foi avec le Québec puisque tout arrangement déraisonnable serait vraisemblablement refusé par le Québec. En d’autres mots, le Québec aurait « le gros bout du bâton » pour ce qui est du transfert de la dette fédérale. Pour ce qui est des précédents internationaux, le principe qui est généralement reconnu est que le transfert de la dette ne doit pas modifier la richesse relative des États (convention de Vienne de 1983), ce qui fait en sorte que la majorité des experts entendus à la Commission Bélanger-Campeau estimaient que le PIB était le meilleur critère de répartition. De plus, comme le gouvernement fédéral a relativement peu d’actifs non financiers au Québec par rapport au reste du Canada, il ne serait pas justifié de faire payer le Québec pour des actifs qu’il n’a pas par un transfert de passifs, ce qui fait en sorte de diminuer la part du passif fédéral qui serait transmis au Québec. Il en va de même pour les obligations détenues par la Banque du Canada (actifs pour la Banque du Canada, passifs pour le gouvernement fédéral) qui ne pourraient pas être transférées au Québec puisque les Québécois payent déjà en renonçant aux intérêts dus au droit de seigneuriage. En regardant au niveau des comptes de retraite, j’ai calculé que 18% serait imputable au Québec - en grande partie à cause de la quasi absence de la GRC au Québec.

 

Pouvez-vous nous dire qui vous a supporté dans vos démarches et vos conclusions ?

 

J’ai malheureusement dû faire presque tout le travail seul, mais les commentaires de Louis Gill, notamment, m’ont été d’une très grande aide pour améliorer et corriger certains aspects de mon étude, principalement pour la section portant sur le passif fédéral. Gabriel Ste-Marie, avant d’être député, m’a également grandement aidé par ses nombreuses relectures et en me présentant à d’autres économistes. L’IREC, avec un comité scientifique, a validé l’étude, alors que de nombreuses autres personnes ont lu les différentes ébauches de l’étude et m’ont encouragé à poursuivre. Maxime Laporte (président de la SSJB) a aussi été un acteur très important, car j’avais abandonné le projet au milieu de 2015 et c’est lui qui m’a relancé en me garantissant son appui pour la sortie médiatique et qui s’est assuré qu’une validation scientifique soit faite (finalement par l’IREC vers décembre 2015). C’est également lui qui a remis à Monsieur Landry une ébauche du livre, ce qui a fait en sorte que M. Landry veuille signer la préface. La SSJB m’a également offert une petite bourse pour m’aider à compléter l’étude, car qu’on le veuille ou non, après deux ans de travail il devient extrêmement difficile de continuer de sacrifier ses soirs et ses fins de semaine à la complétion d’une étude qui doit continuellement être mise à jour avec la sortie des nouveaux comptes publics et des nouveaux budgets. Évidemment, Bernard Landry, en signant la préface, a assuré que l’étude soit couverte médiatiquement, ce qui n’aurait peut-être pas été le cas sans sa contribution.

 

Que reste-t-il à faire pour la suite ? Attendre patiemment d’autres études, dont les études de l’Institut sur l’indépendance ?

 

Difficile à dire. De mon côté, mettre à jour mon étude demanderait encore énormément de sacrifices et j’ignore toujours si cela pourrait en valoir la peine. Il pourrait être intéressant de mettre à jour certaines études du secrétariat à la restructuration, notamment au niveau de la méthode utilisée par Claude Lamonde et Jacques Bolduc en 1995 pour répartir l’actif et le passif ainsi que le rapport du secrétariat à la restructuration sur les économies potentielles. Pour ce qui est de l’IRAI, je n’ai aucune idée où ils en sont et quels projets ils ont en tête, mais j’espère qu’ils réussiront à produire plusieurs études de qualité.

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Pour vous procurer l’étude de Maxime Duchesne, cliquez ici

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(un document produit par le député bloquiste Xavier Barsalou Duval)

Entrevue réalisée par Étienne Boudou-Laforce