Le « moment Péladeau » est derrière nous. Plusieurs ont vécu avec déception la démission de Pierre Karl Péladeau en se remémorant l’espoir qu’il avait suscité, le 5 mars 2014, lorsqu’il a annoncé qu’il se lançait en politique. Devant la profession de foi indépendantiste du magnat, d’aucuns s’étaient alors dit « ça va enfin se faire ! ». Tout semblait redevenir possible.
Même décevant, ce départ est une formidable occasion d’en finir avec une certaine vision messianique. Le prochain chef ne sera pas un « sauveur », mais un être humain, avec ses défauts et ses qualités. Le choix du chef détient certainement une importance majeure, mais la sélection devrait s’opérer en fonction des qualités politiques des uns et des autres plutôt qu’en fonction de quelques sondages, par définition éphémères. En cessant d’ériger des messies à la moindre occasion, on ne spéculerait plus sur « la fin du PQ » ou « la fin de la souveraineté » à chaque départ de chef. Il y a un prix à payer à mettre systématiquement tous ses espoirs, la finalité d’un peuple entier, sur les épaules d’un homme ou d’une femme. Non, le départ de Péladeau n’équivaut pas à celui de l’homme de « la dernière chance », pas plus qu’il n’est synonyme de la fin de l’idée indépendantiste.
La conception providentielle du chef tout puissant menant à la Terre promise est le résultat direct d’une culture héritée des années 1970. Les souverainistes ont alors renoncé à construire concrètement le Québec indépendant, par des gestes politiques, au profit du sacro-saint « Grand soir » référendaire. La naissance d’un nouveau pays, en se limitant au seul enjeu de la date du référendum, devenait question d’humeur populaire et de conjoncture favorable. Et en attendant, le PQ se contente de gouverner la « province » de Québec à la petite semaine.
Guerres de calendrier
Les débats internes au PQ, courses à la direction ou congrès, se muaient en guerres de calendrier quant à la meilleure date à encadrer pour être en mesure d’additionner suffisamment de « Oui ». Le troisième lundi du cinquième mois de la deuxième année serait plus « gagnant » que le quatrième lundi du neuvième mois de la troisième année. L’indépendance n’étant plus qu’un moment à choisir de façon optimale, son avènement n’est donc plus possible que par la force des joutes oratoires et des campagnes communicationnelles. Le PQ « mangeur de chefs » ne s’explique qu’à travers ce renoncement au politique au profit du marketing. Chef « trop vieux », « trop jeune », « de sexe féminin », « homosexuel », « trop à gauche », « trop à droite », « pas assez charismatique », « pas assez bon orateur », etc. ; autant d’hypothèses creuses visant à expliquer la torpeur du mouvement souverainiste à la seule lumière de ses figures officielles.
À ce cadre erroné issu de la décennie 1974 s’ajoute le problème de l’après-1995. Au cours des années post-référendaires, l’alliance entre les classes moyennes et le projet souverainiste s’est gravement effritée. Le gouvernement de Lucien Bouchard a alors tout fait pour convertir le Québec à la « nouvelle économie mondialisée », avec toutes les conséquences que cela implique, en plus de diviser les péquistes par un débat identitaire remettant en question la vision de la nation, jusque-là consensuelle chez les souverainistes. Après 1995, le PQ a perdu quatre élections sur six. Aux deux élections remportées, il a obtenu moins de votes que l’opposition en 1998 et il s’est contenté d’un gouvernement minoritaire en 2012 et d’un quasi nez à nez tant en votes qu’en sièges malgré l’usure de trois mandats libéraux et une crise sociale de grande envergure. La couleur des complets du chef ne change rien à cette tendance lourde. Le travail à accomplir est, pour les souverainistes, bien plus fondamental.
La coalition souverainiste est aujourd’hui à rebâtir. Le lien de confiance entre le projet d’indépendance et les catégories sociales qui le portaient est certes partiellement rompu, si tant est que le fractionnement du vote illustre bien la fin des blocs polarisés autour des « Oui » et des « Non ». C’est pourquoi l’indépendance doit quitter le terrain de la polarisation « Oui-Non » pour redevenir politique. Les Québécois seront bien plus portés à se mobiliser pour des politiques concrètes allant dans le sens de la construction effective d’un État laïque et français et d’une économie nationale que pour un projet fantasmatique semblant si déconnecté de leur quotidien. L’indépendance n’est pas une date sur un calendrier, mais une pratique à adopter et une réalité à construire.
Simon-Pierre Savard-Tremblay
Via Le Devoir