La saga « la classe politique fait tout pour empêcher le débat sur le libre-échange » n’est pas en reste, alors que les épisodes burlesques ne cessent de se succéder.
Tout d’abord, ce furent les négociations dans le secret le plus total. Ensuite, le « représentant » du Québec, Pierre-Marc Johnson, a comparé les adversaires au libre-échange aux climato-sceptiques et aux défenseurs de la cigarette. Ce même Johnson a ensuite rejeté du revers de la main une étude de l’Université Tufts démontrant que l’Accord économique et commercial global (AÉCG) allait entraîner une baisse substantielle des recettes fiscales des États, une augmentation des inégalités et une destruction programmée du secteur public. L’argument de Johnson ? Le but de l’accord n’est pas de régler les problèmes sociaux mais de favoriser le commerce entre les pays.
La semaine dernière, les autorités « compétentes » canadiennes annonçaient que le militant et député européen José Bové (j’ai réalisé cette petite entrevue avec lui) allait finalement être expulsé du Canada après avoir été bloqué pendant plusieurs heures aux douanes. De quoi venait nous parler Bové ? De l’AÉCG. Les autorités, pourtant d’habitude si obsédées par la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes, s’empressèrent donc de redécouvrir les « bienfaits » du contrôle des frontières dès lors qu’il s’agissait de protéger leurs dogmes et intérêts. Finalement, dès le lendemain, on apprenait que Bové allait pouvoir rester. Quel fiasco diplomatique pour le gouvernement Trudeau ! Et que dire des effets politiques : loin de museler Bové, Ottawa lui a plutôt offert un splendide cadeau en termes d’attention médiatique. Espérons que cette visite suscite un nécessaire débat sur l’AÉCG, comme la venue de Joseph Stiglitz, il y a quelques mois, a su remettre en cause le Partenariat transpacifique (PTP).
On pouvait somme toute croire que l’épisode Bové était venu clore cette série de faux pas. Erreur ! Et il n’y a pas que les Québécois qui sont le dindon de la farce. Philippe Couillard a demandé hier au gouvernement de la Wallonie, qui a pris position contre l’AÉCG, de ne pas écouter son parlement et ses citoyens, d’oublier ses demandes et ainsi d’accepter tout bonnement l’AÉCG. « L’AECG est un accord progressiste et moderne sans précédent », pouvait-on lire. On peut comprendre les Belges d’avoir l’impression qu’on se paie littéralement leur tête. Il y a quelques jours, David Lametti, secrétaire parlementaire de la ministre Chrystia Freeland, a déclaré au parlement wallon : « vous pouvez certainement passer des lois, mais dans certains cas vous devrez payer pour les faire appliquer. » En fin de semaine, Jane Murphy, Vice-Présidente de la Chambre de commerce Canada-Belgique-Luxembourg, un lobby de firmes transnationales, déclarait qu’elle ne comprenait pas les délégations frileuses à l’endroit du traité, cherchant aussi à les rassurer sur le fait qu’il n’y aurait pas d’invasion d’ours et de sirop d’érable. Heureusement que nos brillantissimes « élites » sont là pour couper court à des phobies populaires aussi irrationnelles. Ce n’est toutefois pas tout. En mai dernier, réagissant au rejet de l’AÉCG par la Wallonie, Johnson y était allé d’un tonitruant « Et puis quoi, on va faire du feu pour danser tout nus autour la nuit ? ».
En somme, l’AÉCG est, pour nos « élites », une histoire de cachotteries et de moqueries lorsque les peuples ont le malheur de poser des questions. Pourquoi, d’ailleurs, questionner la Vérité avec un grand V ? Après tout, le ministre des Finances du Québec, l’ancien banquier Carlos Leitao, l’a dit avec une clarté lumineuse : « le libre-échange est toujours positif ». Toujours. Fin de la discussion.
Démocratie, vous dites ?
Simon-Pierre Savard-Tremblay