Le troisième film de la série La Purge (The Purge) sort aujourd’hui en vidéo. Disons-le d’emblée : à l’instar de ses prédécesseurs, il s’agit d’un film de série B à la qualité cinématographique plutôt limitée. Cependant, l’idée de base du film demeure philosophiquement très intéressante. La voici : dans un futur rapproché, les États-Unis sont sous l’emprise des « nouveaux Pères fondateurs ». Ceux-ci ont réussi à éradiquer totalement le crime par une nouvelle politique assez particulière, celle d’autoriser, une nuit par année, la totalité des crimes incluant le meurtre. Au cours de cette « purge », les services policiers et ambulanciers sont suspendus.
Le concept n’est pas seulement attrayant pour un amateur de films d’horreur (ce que je suis), il est aussi porteur d’une réflexion brillante. L’atmosphère du film nous rappelle tout autant certains classiques de John Carpenter qu’une dystopie à la George Orwell. Le héros du film (qui l’était également dans le deuxième volet), n’est pas sans rappeler le Winston Smith de 1984, n’étant pas un révolutionnaire. Mais, spontanément, c’est à La Fable des abeilles de Bernard Mandeville que j’ai pensé. La Fable des abeilles, c’est cette œuvre de 1704 qui avait pour sous-titre Les vices privés font le bien public. Rédigée comme une fable philosophique à la manière de Jean de La Fontaine, l’œuvre nous présente une ruche où les abeilles prospèrent grâce au vice et la corruption. Les abeilles en viennent cependant à demander au dieu Jupiter de les rendre vertueuses, ce qui leur est accordé, mais au prix d’une chute drastique de la prospérité de la ruche, entraînant la mort de milliers d’abeilles. C’est là la base même de la société libérale, véhiculée aussi dans la série La Purge. Le libéralisme, c’est le soi-disant live and let live qui se transforme dans les faits en live and let die, ayant outrepassé depuis longtemps son mythe fondateur à l’effet que la liberté de l’un s’arrêterait là où commencerait celle de l’autre.
La Purge nous montre bien cette société libérale de renoncement à toute définition publique du bon et du juste. La libération totale et illimitée des passions et des pulsions y est ouvertement véhiculée comme la manière d’en arriver à une vie collective pacifiée. Autrement dit, il est vital, une nuit par année, d’exercer sa volonté de puissance, son besoin de destruction et de pouvoir plutôt que de le domestiquer. Ainsi, on préfère ce chemin à celui d’une socialisation des êtres humains pour qu’ils acquièrent les codes élémentaires de la vie en société. La purge annuelle semble dès lors ne pas tant être une refondation, comme le film le prétend, mais ressemble plutôt à une apogée de l’Amérique moderne.
Le premier film se contentait d’effleurer la question des tensions raciales tout en nous faisant suivre une famille aisée qui devait survivre à une invasion de domicile pendant la fatidique nuit. On en comprenait dès lors néanmoins que les riches étaient les plus à même de s’en sortir, dotés de maisons protégées et technologiquement équipées. Le second film nous montrait plutôt la loi de la jungle qui règne dans les rues. Le troisième film va quant à lui beaucoup plus loin dans le propos social, introduisant plusieurs nouvelles réalités.
Tout d’abord, nous apprenons que la purge suscite un important tourisme meurtrier, qui n’est pas sans rappeler le tourisme sexuel ou celui qui vise à la consommation de drogues là où la chose est légal. Cela n’est que le paroxysme d’un monde où l’ensemble des tabous sont appelés à sauter pour être immédiatement récupérés à des fins lucratives. Dans un tel cadre, rien n’est étonnant dans l’idée que le meurtre devienne marchandise.
La Purge 3 nous montre aussi que les compagnies d’assurances en profitent plus que quiconque, se permettant de faire chanter les familles les plus vulnérables à la veille de la purge afin de leur soutirer davantage d’argent avant de s’engager à assurer leurs biens.
Ce système de corruption généralisée atteint à des degrés divers les différentes couches de la société. Une forme de solidarité existe tout de même chez les plus pauvres, alors qu’ils s’entraident pour survivre. La morale commune n’est donc pas complètement disparue. Une femme est d’ailleurs en état de choc, appelant à l’aide alors qu’elle vient de tuer son mari, avouant que cela n’a pas eu l’effet libérateur escompté. Les populations défavorisées sont entièrement laissées à elles-mêmes, étant d’ailleurs tiraillées quant à leur espoir par rapport à une candidate à l’élection présidentielle promettant l’abolition de la purge. Cela n’est pas sans rappeler cet état de cynisme face à la capacité du politique d’amener des réponses et des solutions. Pour d’autres, également dans les couches les plus modestes, la solidarité et l’instinct de survie se muent en mentalité clanique, presque mafieuse.
Quant aux participants décomplexés de la purge, ils sont dans un individualisme radical, s’en donnant à cœur joie dans un mode de vie qui n’aurait pas déplu au marquis de Sade, qui lui seul avait su rendre compte que, pour l’être humain, la domination des uns sur les autres était le revers naturel de leur libération totale. Ils sont entièrement consommés par la purge, et s’en tiennent tous à des tenues vestimentaires excentriques, comme pour afficher le plus clairement possible leur amoralité. Une scène nous montre ainsi un homme crier qu’il est le meilleur pendant qu’il tire à bout portant, symbolisant la levée de toute retenue au profit de l’affirmation du pouvoir personnel.
Le personnage de la petite afro-américaine qui se vante d’avoir tué ses parents est aussi évocateur. Au cours des scènes précédentes, elle et une de ses copines tentent de voler une barre de chocolat dans un dépanneur tenu par des compatriotes afro-américains. On y voit l’expression de la vénération libérale de l’enfant-roi. Ce qu’elle veut, elle le prend, étant même prête à voler aux siens. Sa jupe de collège privé nous laisse entendre qu’elle est probablement issue de milieux privilégiés. Il est hautement paradoxal qu’elle accuse celle qui lui demande de rendre ce qu’elle a tenté de voler d’être devenue « comme une blanche ». Au fond, c’est elle qui a bénéficié d’une ascension dans le monde de ceux qui réussissent. Ce qu’elle qualifie avec dédain de « blanche », c’est la morale que tente de faire respecter celle qui lui demande de rendre ce qui ne lui appartient pas. Dans sa tête, il est hors de question qu’on lui exige quoi que ce soit. Pour elle, être « noire » se traduit uniquement par les traits les plus caricaturaux du communautarisme, comme en témoigne la tenue hypersexuelle dans laquelle elle débarque, une mitraillette à la main, le soir de la purge, pour s’en prendre à d’autres afro-américains qui, eux, vivent modestement. Ce qu’elle veut montrer, au contraire, c’est qu’elle n’est pas du ghetto, qu’elle n’est pas en position de marginalité mais de domination. Elle n’a ainsi rien à voir avec la situation des afro-américains dont la sécurité est totalement menacée, ceux qu’elle cherche à violenter.
Quant aux curés, alliés des « nouveaux Pères fondateurs », ils préparent des sacrifices qui n’ont rien de chrétiens. Leur, religion c’est le libéralisme. On ne s’expurge donc pas de ses péchés en les combattant mais en y succombant.
Ces quelques souvenirs et réflexions remontent à mon visionnement du film au cinéma par un samedi soir pluvieux il y a quelques semaines. Je me rafraichirai la mémoire en allant le louer au club vidéo ce soir, et je vous invite à en faire autant. La Purge 3 est un film beaucoup plus intelligent et réaliste qu’il n’en a l’air. Malheureusement, ajouterais-je.
Simon-Pierre Savard-Tremblay