Que reste-t-il du printemps québécois? par Esther Benfredj

22 février 2013 | Esther Benfredj | Causeur

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Il est bien loin le temps des joyeux concerts de casseroles

Les Québécois ont-ils oublié le tintamarre des casseroles ? Pantoute, vous répondront-ils ! Certains arborent encore fièrement un carré rouge, symbole de la contestation étudiante, comme d’autres affichent la légion d’honneur en France. Dans les librairies, les ouvrages abordant, de près ou de loin, la question de la crise étudiante fleurissent pour marquer cet anniversaire historique.

Ce que l’on a maladroitement appelé « printemps érable », en référence à la tout aussi maladroite expression « printemps arabe », est une grève étudiante sans précédent qui a paralysé le secteur académique et scolaire québécois de février à septembre 2012. Déclenchée par la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) présidée par Léo Bureau-Blouin, la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) présidée par Martine Desjardins et la très radicale Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) représentée par Gabriel Nadeau-Dubois, la grève avait pour vocation originelle d’empêcher la hausse (environ 75% sur 5 ans), prévue par le gouvernement alors formé par le Pari Libéral du Québec de Jean Charest (2003-2012). Pour les pro-carrés rouges de la FEUQ et de la FECQ, la hausse des frais de scolarité constituait une entrave à l’accessibilité à l’université au plus grand nombre et augmentait l’endettement des étudiants auprès des banques. Selon l’ASSE, la gratuité universitaire semblait être la panacée.

Pour les pro-carrés verts, petite minorité favorable à la hausse des frais, il s’agissait de vanter les mérites d’une éducation de qualité. Certains mettaient également en avant la reforme avantageuse des prêts et bourses de l’Aide financière aux études, proposée par le gouvernement Charest, qui contrebalançait l’augmentation des frais en permettant aux étudiants de s’en acquitter finalement plus favorablement malgré la hausse. D’autres critiquaient tout bonnement les manières peu démocratiques utilisées pour imposer la grève lors des votes des assemblées étudiantes et arguaient que les étudiants n’étant pas salariés, il ne pouvait y avoir droit de grève puisque ce droit est régi par le Code du travail : les votes favorables à la grève s’apparentaient alors à des blocus illégaux. Précisons qu’au Québec, les frais universitaires sont les moins élevés d’Amérique du Nord : une session universitaire coûte environ 1600$ ; c’est pourquoi les universités anglophones comme McGill, culturellement plus proches des Etats-Unis, ont moins pris position en faveur de la grève que les facultés francophones.

Les fédérations étudiantes et le gouvernement n’arrivant à aucun compromis, ce dernier adopta une loi pour limiter le droit de manifester et imposer un retour en classe aux grèvistes en culotte courte. Cette loi, destinée à étouffer la révolte, envenima la situation : elle fut considérée comme une mesure liberticide y compris par le Barreau du Québec. Des élections anticipées ont été déclenchées l’été dernier ; élections remportées, sans réel succès, par le Parti Québécois dirigé par Pauline Marois.

Opposé à la gauche radicale comme à la politique menée par Jean Charest, Simon-Pierre Savard-Tremblay (*1) explique : « La légitimité du gouvernement a chuté en raison des multiples scandales de corruption qui l’entachaient, laissant notamment entendre à la population qu’il ne détenait plus l’autorité légitime pour exercer le pouvoir. De plus, aucun assainissement budgétaire n’a été fait au préalable dans les universités souvent mal gérées ce qui a alimenté la grogne populaire. Un remaniement budgétaire au sein de la sphère académique aurait probablement été nécessaire. Jean Charest n’a pas su tenir tête à la rue ; la ministre de l’Education de l’époque, Line Beauchamp, a d’ailleurs démissionné. La politique de Charest a été un véritable échec en dépit de la mauvaise publicité faite par les jeunes radicaux de l’ASSE qui recyclaient une rhétorique communiste digne des années 1960. Alors que de nombreux actes de violence avaient lieu, les radicaux ont refusé de les condamner, prétextant qu’ils ne détenaient pas de mandat pour rejetter l’inacceptable ».

À bien des égards, le bilan de la révolte étudiante n’est en effet guère brillant : malgré la mobilisation pacifique de nombreux jeunes, la cause étudiante a été récupérée par la gauche radicale qui souhaitait la chute du gouvernement Charest. Les leaders souverainistes comme Pauline Marois, opposés au gouvernement Charest, l’ont également utilisée à des fins électorales. Des centaines de milliers d’étudiants québécois et étrangers ont été privés de cours ce qui a entraîné pour beaucoup d’entre eux, outre la perte d’une année universitaire, une perte financière importante.

À l’exception de quelques manifestations qui ont compté plus de 200 000 participants, les marches quotidiennes n’ont pas attiré les foules. Martin Lemay, ancien député du Parti Québécois à l’Assemblée nationale du Québec (2006-2012), écrit à ce propos : « Dans le cadre du conflit étudiant, fut organisée une campagne de manipulation et d’intoxication rarement vue dans notre histoire. (…) Nous eûmes l’impression que le Québec était à l’orée de la Révolution ! (…) La réalité médiatique, aussi tapageuse et insistante soit-elle, ne se révélera être qu’un leurre. Pour dix casseurs et manifestants brevetés, il y a cent mille citoyens demeurés sagement chez eux » (*2).

Àprès la constitution du gouvernement Marois, la hausse des frais de scolarité a immédiatement été annulée et l’organisation d’un sommet sur l’enseignement supérieur mise à l’ordre du jour pour aborder la question des frais de scolarité. Celui-ci se tiendra à Montréal les 25 et 26 février prochains. Tandis que politiciens, professeurs et associations étudiantes tenteront d’y trouver des solutions, l’intransigeante ASSE s’est d’ores et déjà exclue de la réunion. Une décision que le ministre de l’Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, juge surprenante puisque cette association a pris part aux rencontres préparatoires des dernières semaines et qu’elle a été l’une des plus virulentes pendant le conflit. Dernièrement, l’ASSE s’est prononcée en faveur d’une nouvelle grève et de la gratuité scolaire. Ce à quoi Jacques Parizeau, ancien Premier minsitre du Québec (1994-1996), a justement répondu que « la gratuité, en contradiction avec ce qui se fait sur le continent et dans plusieurs pays d’Europe, implique une redéfinition des universités : il faudrait des examens d’entrée ». Sa position, favorable à la gratuité, montre que ce débat transcende le simple cadre gauche/droite tel qu’on le connaît en France : les partisans de la gratuité sont parfois des nationalistes identitaires, comme Parizeau, qui affirment que l’éducation gratuite s’inscrit dans un projet de société opposé au mondialisme libéral des fédéralistes comme Jean Charest. À condition d’instaurer des concours d’entrée à l’université, la gratuité n’entraînerait donc pas la dévalorisation du diplôme.

Force est de constater que les parangons de la révolte étudiante agissent aujourd’hui avec le même arrivisme que Jean Charest hier. Entré au Parti Québécois, Leo Bureau-Blouin, ancien leader de la FECQ, a profité de son capital popularité pour être élu député : il tente désormais d’assurer son avenir politique en tant que plus jeune député élu au Québec. Quant à l’ancien porte-parole de l’ASSE, Gabriel Nadeau-Dubois (condamné d’ailleurs par la Cour supérieure du Québec), il oeuvre à la Confédération des syndicats nationaux. « Je fais confiance aux électeurs et j’en profite pour faire mon beurre » chantait justement Jacques Dutronc.

*Photo : Marie Berne.

*1-Ancien président de l’aile jeunesse du Bloc Québécois, Simon-Pierre Savard-Tremblay vient de fonder Génération Nationale, un mouvement aux tendances conservatrices tourné vers la jeunesse de la Belle Province, qui pointe notamment du doigt les carences du système d’éducation québécois.
*2-Martin Lemay, Lettres à un jeune gauchiste, Montréal, Editions Accent Grave, 2013