Le bilinguisme à la STM. Questions à Patrick Sabourin.

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STM, are you hearing? Demandait hier Jean-François Lisée dans la langue de Shakespeare, annonçant du même coup que les employés de la Société des transports de Montréal devraient être en mesure d’offrir des services dans les deux langues. L’institution était généralement considérée comme étant un des derniers bastions où l’unilinguisme français était toujours en vigueur. Alors que certains n’hésitent pas à parler de saine ouverture au monde – concept à notre avis surutilisé pour masquer une certaine démission collective —, d’autres y voient la dangereuse ouverture d’une porte qui n’avait pas à être ouverte à la lumière du contexte linguistique prévalant actuellement.

Pour discuter de cette épineuse question, l’équipe de Génération Nationale a rencontré Patrick Sabourin, étudiant au doctorat en démographie à l’Institut National de la Recherche Scientifique.

Q : Monsieur Sabourin, qu’avez-vous au départ pensé de la sortie publique du ministre Lisée?

R : Elle m’a beaucoup surprise. M. Lisée y défend une conception de l’aménagement linguistique qui est complètement en porte-à-faux avec l’esprit de la loi 101. M. Lisée prône une certaine forme de bilinguisme asymétrique au sein duquel le français occuperait une place prépondérante, alors que la loi 101 fait plutôt du français la seule langue officielle et commune de tous les Québécois, c’est-à-dire la langue de l’État et la langue des échanges entre individus de langues maternelles différentes. M. Lisée est clairement en rupture idéologique avec les concepteurs de la loi 101 de 1977.

Q : En quoi s’agit-il d’un danger à la lumière de notre situation linguistique?

R : La situation du français est préoccupante, particulièrement à Montréal. M. Lisée répète sur plusieurs tribunes que le déclin du français à Montréal est uniquement causé par l’exode des familles francophones en banlieues. Cette affirmation est fausse : en témoigne le recul du français dans la région métropolitaine de Montréal, une unité territoriale qui inclut les banlieues. À Laval, de 2001 à 2011, le pourcentage de francophones selon la langue parlée à la maison a chuté de 10 points, passant de 77,5 % à 67,9 %. L’exode des familles francophones n’est donc pas l’unique facteur en cause. C’est surtout que le Québec reçoit chaque année d’importantes cohortes d’immigration qu’il n’arrive pas à franciser adéquatement.

Q : Mais l’actuelle politique de l’unilinguisme à la STM vous semble-t-elle efficace?

R : Je crois que oui. En matière de politique linguistique, la STM et la Bibliothèque nationale sont des exemples à suivre. Ils appliquent par ailleurs un « unilinguisme » tout relatif. Certaines inscriptions liées à la sécurité sont déjà affichées dans les deux langues. Les guichetiers et les chauffeurs d’autobus de la STM donnent déjà des services en anglais sur demande, lorsqu’ils ont la capacité de le faire. Qu’est-ce qui a poussé M. Lisée à demander à la STM de relever le niveau de ses services en anglais? Quelle proportion des employés de la STM est déjà en mesure d’offrir des services en anglais? À quelle fréquence les employés de la STM offrent-ils des services en anglais? Combien de plaintes la STM reçoit-elle annuellement sur le manque de services en anglais? Qui sont ceux qui se plaignent d’un manque de services en anglais? C’est à ces questions que M. Lisée aurait dû tenter de répondre avant d’intervenir publiquement. Par ailleurs, on a bien vu que la STM n’a pas tardé à remettre le ministre à sa place…

Q : La bilinguisation de la STM est-elle même légalement possible selon les dispositions de la Charte de la langue française?

R : Il faudrait poser la question à un expert de la législation linguistique. Pour ma part, je crois qu’une bilinguisation accrue de la STM n’irait pas à l’encontre du contenu la loi 101, mais qu’elle en trahirait l’esprit. La Charte est ambiguë sur les limites à imposer en matière de bilinguisme au travail. L’article 46 stipule qu’« Il est interdit à un employeur d’exiger pour l’accès à un emploi ou à un poste la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que la langue officielle, à moins que l’accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance. »[1] Selon M. Lisée, une hausse de la demande de services en anglais justifierait d’exiger le bilinguisme chez une plus grande part du personnel puisque la tâche « nécessiterait » la connaissance de l’anglais. Il soumet donc les services en anglais de la STM au jeu de l’offre et de la demande, ce que la Charte visait précisément à contrer. En contexte canadien et nord-américain, dans le « marché aux langues » qui est le nôtre, le français aura toujours une moins grande valeur que l’anglais. Laisser libre cours aux forces du marché mettrait le français en péril.

Il va de soi que l’exécutif de Génération Nationale partage les craintes de M. Sabourin. Le bilinguisme institutionnel, en apparence alléchant, est trop souvent confondu avec l’enrichissement personnel que représente l’apprentissage d’une seconde langue. Pour nous, il est vital de préserver un des derniers secteur où la langue française jouit d’une protection adéquate.

L’équipe de Génération Nationale


[1] Le texte intégral de la Charte est disponible à l’adresse suivante : http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/C_11/C11.html