Tania Longpré est enseignante en francisation des immigrants depuis de nombreuses années. Dès demain, son premier livre intitulé Québec cherche québécois sera disponible dans toutes les bonnes librairies. Son ouvrage pointera du doigt certains problèmes majeurs dans les actuelles politiques d’intégration des nouveaux arrivants. Madame Longpré a accepté de répondre aux questions de l’équipe de Génération Nationale.
Nous admettons d’emblée partager ses craintes et nous espérons que ce message sera entendu dans les hautes officines du pouvoir québécois.
Madame Longpré, expliquez-nous pour commencer -histoire de bien situer nos lecteurs- ce qui vous a mené à vouloir enseigner la langue française aux immigrants?
Ma mère étant immigrante, je connais le monde de l’immigration d’assez proche. J’ai débuté mes études universitaires en journalisme, parce que j’aimais écrire, mais je n’ai pas du tout aimé ça! Je cherchais une carrière qui me permettrait d’être toujours en contact avec les gens et où mon amour de la culture et de la langue pourrait être au cœur de mon quotidien. J’ai donc décidé d’enseigner le français aux nouveaux arrivants, je crois que «devenir un repère culturel» était un peu ma vocation. J’ai commencé par enseigner au secondaire, puis au secteur de l’accueil au primaire. Depuis 5 ans, je n’enseigne qu’au secteur des adultes et j’adore ça : je ne suis plus capable d’entendre le discours « on intègre les enfants» et c’est assez. Je crois que l’important, c’est d’intégrer les adultes immigrants -qui représentent 80 % de notre immigration- puisque ce sont eux que nous avons sélectionnés. Comme j’estime que le principal outil d’intégration est la langue, je la leur transmets au meilleur de mes capacités. J’ai choisi ma profession pour partager quelques-unes de mes passions, dont ma langue, ma culture et mon amour pour ma patrie. Pour moi, travailler sur le terrain vers l’intégration concrète des gens, c’est travailler au service de mes passions.
Pour nous, la langue constitue tout autant un aspect fondamental de notre identité qu’elle est insuffisante pour nous distinguer des autres peuples de langue française. Nous estimons aussi que la langue ne peut être vue à travers le simple regard utilitaire, soit comme un banal moyen de communication, et qu’elle doit être perçue comme un héritage à préserver. Est-ce à dire que pour vous, transmettre le français aux nouveaux arrivants ne constitue pas uniquement contribuer à leur apprentissage d’une nouvelle langue, mais bien plutôt comme leur intégration à une culture dont la langue constitue le mode d’expression?
Évidemment. Pour manger, par exemple, vous avez besoin d’un couteau et d’une fourchette. S’intégrer à un nouveau pays c’est un peu le même concept, la langue est la fourchette, mais il ne faut pas oublier l’importance de la maîtrise des codes culturels et des savoirs-êtres, qui sont le couteau. Linguistiquement parlant, une langue peut donner naissance à une multitude de cultures. Prenez l’anglais par exemple : est-ce qu’un Ghanéen anglophone est nécessairement un américain? Pas du tout : maîtriser une langue ne fait pas de vous un être connaissant les habitudes culturelles d’un peuple. Quand j’enseigne le français aux nouveaux arrivants présents dans mes cours, je me fais un devoir de leur donner des notions culturelles, sociales, géographiques, historiques : je crois qu’on ne peut pas bien s’intégrer à un peuple qu’on ne connaît pas. Bien sur, la connaissance du français est un facteur d’intégration de grande importance, primordial même, mais ce n’est pas parce qu’on parle français qu’on devient québécois, belge ou français. J’estime tout de même que si un immigrant ne connaît pas la langue d’un pays où il vit, son intégration est pratiquement impossible. À l’inverse, on peut aussi être francophone et avoir des codes culturels tellement différents qu’on ne pourra jamais s’intégrer, ou dans d’autres cas, devenir Québécois ne fait pas partie des projets de ceux qui s’établissent ici.
La langue est une clé qui ouvre la porte sur une culture, mais elle ne fait pas en sorte que la culture s’ouvre devant nous sans aucun effort. Une bonne dose de curiosité et d’intérêt est nécessaire afin de saisir toutes les nuances d’une société et d’arriver à s’y sentir bien.
Par contre, ce n’est pas parce qu’on partage une langue qu’on est semblable. Plusieurs francophones que nous accueillons ici ont une culture tout à fait différente de la nôtre; en effet, nous partageons la même langue, mais nos mœurs et traditions peuvent être forts différents. Il y a lieu de se questionner sur l’intégration à notre société des immigrants parlant déjà notre langue.
Je pense qu’on devrait augmenter l’importance accordée aux capacités d’intégration que possèdent les gens à s’adapter au Québec. Bref, peu importe d’où les immigrants viennent ou ce en quoi qu’ils croient, l’important est qu’ils aient le désir de se joindre à nous, de s’acclimater au Québec; de manifester leur intérêt à devenir Québécois ainsi que de partager nos projets d’avenir, dont ils font maintenant partie, qu’ils soient enclins à adopter nos modes de vie, afin de ne pas vivre isolés et pouvoir se trouver une place sur le marché du travail. En quelque sorte, qu’ils souhaitent s’intégrer au «nous» québécois.
En tant que société, nous devons nous demander pourquoi certaines communautés, francophones ou allophones, n’arrivent pas à s’intégrer et identifier des solutions qui permettront notre cohésion sociale, dans notre langue commune, le français, mais aussi dans la maîtrise des savoir-faire culturels. Et n’oublions pas une chose primordiale : intégrer les immigrants, ce n’est pas un signe de fermeture d’esprit, c’est tout le contraire : c’est un geste d’ouverture et d’accueil témoignant de la volonté de faire communauté avec nos nouveaux arrivants.
Vous dites avoir immédiatement constaté des carences importantes par rapport à nos outils d’intégration. Pouvez-nous nous en énumérer brièvement quelques-unes?
Plusieurs! Par contre, l’immigration étant un sujet délicat, peu de forces politiques osent se questionner au sujet de l’immigration. Pourtant, si un domaine a bien besoin de courage et de volonté politique, c’est bien le destin des milliers de nouveaux arrivants qui s’installent chaque année au Québec.
En premier lieu, il devrait avoir uniformisation des informations que reçoivent nos futurs immigrants lorsqu’ils rencontrent les représentants de l’immigration. Ceux-ci devraient les aviser de la situation du Québec et des possibilités qu’on y trouve, ainsi que ses lacunes (dans les problématiques d’équivalences d’études, par exemple.) Présentement, nos immigrants entendent des balivernes qui ne ressemblent en rien à la réalité du terrain : dire à un immigrant chinois, pharmacien, ne maîtrisant pas le français que sa démarche vers la pratique de la pharmacie sera facile est complètement faux. La presque totalité de mes étudiants ne pratiquera jamais le métier pour lequel on les a choisis et se réoriente souvent dans des formations professionnelles ou techniques.
Par la suite, la francisation. Le MICC finance 33 semaines de francisation aux néo-Québécois à raison d’une subvention de 120 $ par semaine. Ce qui est insuffisant pour acquérir un français professionnel (approximativement 1500 heures, mais tout dépendant de la langue source et de divers autres facteurs.) Pourtant, nos commissions scolaires offrent jusqu’à 72 semaines de francisation. Serait-il trop demandé à nos gouvernements d’offrir une subvention s’échelonnant sur 72 semaines pour ceux qui le désirent? De plus, pour avoir droit à cette subvention dérisoire ne permettant pas à un couple de faire vivre une famille, nos étudiants doivent être présents en classe 30 heures par semaine : ce qui donne un salaire dérisoire de 4 $ de l’heure alors que le salaire minimum est maintenant à 9,90 $. À ce «salaire» là, plusieurs choisiront d’aller tourner des boulettes de viande chez McDonald, et je les comprends. La ministre de l’Immigration, Diane De Courcy, écrivait dans une lettre au Devoir il y a quelques jours qu’hausser ses subventions serait une bonne idée, mais que nous n’en avions pas les moyens. Selon moi, la problématique de base est ailleurs : si nous n’avons pas les moyens de franciser nos immigrants, c’est peut-être parce qu’ils sont trop nombreux ? L’immigration est un investissement : ce n’est pas gratuit d’intégrer des gens et de les franciser, mais il faut le voir comme un investissement à long terme : des immigrants franciser s’intégrerons mieux que s’ils ne le sont pas. Si nous sélectionnions des gens pour leurs domaines professionnels et qu’on ne les francise pas assez pour qu’ils puissent pratiquer, nous avons un problème. Selon moi, les seuils d’admission sont trop élevés pour nos structures d’accueil. Si j’étais ministre de l’Immigration, c’est la première chose que je chercherais à savoir : combien d’immigrants pouvons-nous intégrer? Que ce soit linguistiquement, culturellement ou économiquement. Il y a beaucoup à faire avant de hausser nos seuils : il ne faudrait pas oublier non plus ceux qui sont déjà ici et qui auraient bien besoin d’un coup de pouce.
De plus, il faudrait rendre la francisation obligatoire : alors que nos jeunes sont intégrés par la structure scolaire, nos adultes le font par volontarisme. J’entends déjà les voix s’élever : pourtant, il est normal d’exiger des gens qui nous rejoignent de maîtriser notre langue : le mieux serait de faire en sorte qu’ils apprennent davantage le français dans leur pays d’origine, par contre, dans plusieurs coins du globe il est difficile d’avoir accès à de vrais cours de langue : soyons réalistes : exiger la maîtrise du français avant arrivée de tous nos immigrants est impossible, surtout lorsque les regroupements familiaux et les réfugiés sont gérés par le Canada. Bien évidemment, il serait plus facile de s’occuper de l’immigration si le Québec était un pays, mais ce n’est pas le cas. Nous devrions avoir un contrat avec nos nouveaux arrivants : ceux qui ne sont pas francisés avant leur arrivée devront obligatoirement l’être une fois sur le territoire. Si nous n’avons même pas les moyens de leur offrir notre langue, qu’allons-nous leur donner?
L’installation géographique est aussi une problématique, selon moi. 85 % de nos immigrants s’installent sur l’île, ce qui favorise une ghettoïsation communautaire. Il ne faut pas oublier que Montréal, ce n’est pas le Québec. Plusieurs régions seraient heureuses d’accueillir de nouveaux travailleurs, et s’établir en région permet une intégration plus complète. Parlez-en à des organismes fabuleux tels que portes Ouvertes sur le lac, à Saint-Félicien qui facilite l’intégration des néo-Québécois au Lac-Saint-Jean.
L’immigration a besoin d’un véritable arrimage entre les trois ministères qui s’en occupent présentement (MICC, MELS, Emploi) et devraient travailler à l’instauration d’un guichet unique. Il faut cesser de tout sectoriser. De plus, il ne faut pas oublier que l’intégration des immigrants est un devoir d’État. Pourtant, celui-ci ne cesse de déléguer l’intégration des immigrants aux organismes, surtout à Montréal où les principaux organismes communautaires œuvrant auprès des immigrants ont une mission plus axée sur la continuité culturelle ou la défense de leurs droits, plutôt que sur l’objectif d’une pleine intégration. Et la ville de Montréal, comme ville, île et région, n’a malheureusement pas de politique concise en matière d’intégration.
Pour terminer, il faut se poser des questions : quels sont les moyens que nous sommes prêts, comme collectivité, à prendre afin d’intégrer adéquatement nos immigrants?
Sentez-vous un certain refus, de la part de certains, d’accepter nos valeurs occidentales et notre mode de vie qui s’y rattache?
Bien sur qu’il y en a. Dire le contraire relèverait du mensonge. Est-ce la majorité d’entre eux? Non, vraisemblablement pas. Par contre, il serait malhonnête de ma part de dire que tous nos immigrants participent à nos sorties culturelles à la cabane à sucre ou à nos activités de Noël! J’ai remarqué que les immigrants provenant de cultures occidentales ou de pays semblables aux nôtres, ou ayant des «croyances» ou habitudes culturelles communes sont plus ouverts à nos valeurs, plusieurs considèrent même que les accommodements raisonnables sont ridicules, voyez le concept ? Par contre, plus les années avancent et plus nos immigrants proviennent d’un amalgame de cultures, il serait faux d’affirmer qu’elles se ressemblent toutes…
Dans ce cas, j’imagine que vous êtes favorable à des mesures telles qu’un renforcement de la loi 101, à l’établissement d’une citoyenneté québécoise et à la mise en place d’une charte de la laïcité ?
Bien certainement: intégrer des immigrants, ce n’est pas actionner un mécanisme de repli sur soi, comme le répètent ad nauseaum certains partisans du multiculturalisme idéologique ! C’est plutôt de s’ouvrir à l’autre et lui donner les outils nécessaires à sa bonne intégration au Québec. Franciser, par exemple, ce n’est pas être fermé d’esprit ! Au contraire, c’est espérer une cohésion sociale. Mais… personne ne veut aborder ces questions, qui soulèvent trop rapidement les accusations de racisme, de xénophobie ou de fermeture d’esprit: pourtant, s’inquiéter pour la qualité de vie de ceux qui nous rejoignent, c’est plutôt d’avoir bon cœur: je ne compte plus les gens que j’ai vus rater quelques heures de francisation par semaine pour aller travailler « en dessous de la table » pour nourrir leur famille ou pire encore, aller quémander de la nourriture et des vêtements à des comptoirs d’aide alimentaire alors que ces gens étaient des professionnels dans leurs pays à qui les employés de l’immigration avaient promis mer et monde s’ils s’établissaient au Québec.
Un renforcement de la loi 101 permettrait aux adultes de bien s’intégrer: les jeunes immigrants s’intègrent bien parce qu’ils sont intégrés de par le système scolaire. Les structures existent aussi pour les adultes, mais elles sont accessibles par volontarisme et non par obligation: il ne me semble pas trop exigeant de renforcer la loi 101, qui, ainsi modifiée permettrait une intégration adéquate de nos immigrants adultes. Par exemple, L’éducation aux adultes et la formation professionnelle ne sont pas assujetties à la Charte. Ce qui amène une incohérence en rapport au parcours scolaire des nouveaux arrivants… surtout que plusieurs adultes, découragés par la non-reconnaissance de leurs études d’origine, se tourneront vers cette éducation gratuite et accessible. Pourquoi dans ce cas accueillir une immigration qui doit se «réorienter»?
C’est dans le programme du Parti Québécois, comme l’est l’extension de la loi 101 au cégep: permettez-moi de douter de leur application. Je ne pense pas que le Parti Québécois se lancera réellement dans ces dossiers, qui m’apparaissent pourtant primordiaux. C’est la même chose avec les garderies ou les maternelles quatre ans, dont on a entendu parler dans les derniers jours : l’objectif est d’intégrer les enfants au système scolaire québécois afin de favoriser sa réussite scolaire. De plus, n’oublions pas une chose: plus vite un enfant sera intégré au système francophone, plus vite sa famille sera exposée au français elle aussi. N’oublions pas une chose: l’intégration à la majorité francophone des immigrants n’est pas «brimer leur liberté» c’est plutôt leur donner la clé du succès dans leur nouvelle vie au Québec.
Pour ce qui est d’une citoyenneté québécoise, je suis d’avis que cela augmenterait leur sentiment d’appartenance à la nation québécoise. Cela leur permettrait de réaliser qu’ils sont ici au Québec, pour la plupart d’entre eux, la situation n’est pas claire: ils viennent au Canada et pas au Québec, alors que pourtant, c’est le Québec qui les sélectionne à 70 %. Une citoyenneté québécoise permettrait aux nouveaux arrivants de se sentir impliqués et concernés par la question nationale, par exemple. Pour ce qui est d’une charte de la laïcité, je suis aussi 100 % pour: j’espère que le Parti Québécois osera dans ce dossier: je considère qu’il est glissant et que la Charte n’ira probablement pas assez loin, alors qu’il le faut: quand nous vivons avec des gens de tous horizons, nous avons besoin de balises communes et je crois qu’une charte serait claire dans deux objectifs principaux: la laïcité et l’égalité hommes et femmes. On l’oublie souvent, mais ces deux prémisses ne sont pas légion dans tous les pays du monde: notre immigration provient de pays et de cultures diversifiées et afin de vivre ensemble dans une cohésion sociale, nous devons indiquer clairement aux immigrants ce que nous sommes si nous voulons qu’ils nous rejoignent, qu’ils comprennent bien la société et qu’ils puissent s’y épanouir. Ne l’oublions pas: l’intégration des immigrants, c’est aussi un dossier de dignité humaine: si nous ne leur donnons pas des outils pour s’intégrer, comment le feront-ils ?
Que pensez-vous de la loi 14 ?
Hier soir, je voyais les deux représentants de la communauté anglophone à Tout le Monde en parle dénoncer le projet de loi et j’étais médusée: premièrement, le projet de loi initial, prévu dans le programme du PQ a été tellement édulcoré qu’il est pratiquement méconnaissable, mais c’est toujours mieux que rien. Leur réaction m’a prouvé que même si un parti (souverainiste ou pas) voudrait protéger la culture québécoise, des voix s’élèveront toujours: les questions identitaires et linguistiques sont toujours sensibles au Québec. Évidemment, il faut légiférer ne serait-ce que pour intégrer davantage nos immigrants à la société québécoise. N’en déplaise à certains, le Québec est francophone et il devrait être normal que les commerces et entreprises fonctionnent en français et que tous, allophones, anglophones ou allophones soient à même de réussir un examen de français à la fin de leur cycle d’études.
Comme le disait Pierre Falardeau, on va toujours trop loin pour ceux qui ne vont nulle part…
En terminant, croyez-vous que l’indépendance du Québec pourrait constituer une avenue possible afin d’assurer une meilleure affirmation de ce nous sommes, et par conséquent une intégration plus adéquate de ceux qui veulent se joindre à nous?
Je n’en doute pas une seconde ! N’en serait-ce que pour gérer adéquatement nos programmes migratoires. Cependant, comme je ne suis pas de celles qui croient que l’indépendance est à nos portes, nous devons rapidement nous pencher sur l’amélioration des structures d’intégration. J’ai hâte que le Québec offre de vraies occasions d’amélioration des conditions de vie de ceux qui nous rejoignent, et je pense que c’est dans un Québec indépendant que nous pourrons le faire. Je suis une éternelle optimiste: je veux voir la république du Québec naître de mon vivant !
Tania Longpré, merci beaucoup!