Requiem pour le Cégep ?

Ce soir, la Nouvelle Alliance pour la Philosophique au Collège (NAPAC) tiendra un cabaret « Pour l’adéquation école-culture ». La NAPAC est une association fondée en 2004, rassemblant des professeurs au niveau collégial qui souhaitent promouvoir l’enseignement de la philosophie. L’événement de ce soir se veut une nouvelle mise en garde, après un livre et un mémoire déposé en consultation ministérielle, contre la dérive marchande du Cégep. Ce que la NAPAC a à nous dire, c’est que l’heure est grave. Très grave.

Le gouvernement libéral projette de créer un Conseil des collèges (un Conseil des universités et une Commission de l’enseignement supérieur sont aussi dans les cartons). L’idée d’un Conseil des collèges n’est pas mauvaise en soi, mais les orientations colportées dans le document de réflexion sont inquiétantes. Ce dernier se situe dans la lignée des grandes institutions internationales voulant convertir les systèmes pédagogiques aux impératifs de mobilité du capital et à la perpétuelle évolution des besoins du système. En 2014, le rapport Demers jetait déjà les bases d’une intégration totale du Cégep aux nécessités de la concurrence mondialisée, évacuant au passage la culture. Le Cégep y est pensé à travers l’unique perspective de son adaptation aux besoins au marché et les étudiants y sont vus comme de futurs agents économiques.

Dans une telle perspective, le Conseil des collèges et la Commission de l’enseignement supérieur seraient des outils d’évaluation des Cégeps pour s’assurer que ceux-ci soient véritablement conformes aux préceptes et exigences de l’économie mondialisée. La mondialisation a construit une culture de l’évaluation totalement hégémonique. Tout cela a commencé dans l’entreprise privée, avec des pratiques d’étalonnages, d’échelles de rentabilité, d’indicateurs de performance, de classements, etc. Par la suite, presque toutes les entités ont été condamnées à être scrutées de la sorte, à l’instar des États ou des universités. Tout est aujourd’hui noté, coté, jugé en fonction de sa solvabilité, de sa rentabilité ou de sa productivité (dépendamment de ce qui est étudié). Quand on vérifie les critères de ces procédés, on constate que ce sont davantage des guides calqués sur les intérêts des corporations que de véritables évaluations neutres et objectives.

Qu’on me comprenne bien : je trouve logique qu’on surveille de près l’enseignement supérieur. Les jeunes d’aujourd’hui étant les décideurs de demain, toute erreur dans le processus d’enseignement peut avoir de graves répercussions. Je trouve cependant condamnable que cette prétendue évaluation soit calquée sur des intérêts marchands. Il est aussi regrettable que ces nouvelles structures proposées se fassent au prix d’un effacement du contrôle démocratique des Québécois. L’éducation au Québec est encadrée par l’État québécois. Or, on propose ici que cet encadrement soit effectué par le nouvel organisme prétendument indépendant.

Conformément à cette industrie de la concurrence, à cette comparaison perpétuelle des entités entre elles au nom de leur position dans les palmarès, le Conseil aurait pour mission d’importer les pratiques jugées optimales qui font soi-disant leurs preuves dans les systèmes d’éducation étrangers. Si ceux-ci forment une main d’œuvre plus productive, il faut, en somme, les battre sur ce terrain.

Il est également proposé de changer les règlements des études collégiales pour rendre les formations plus flexibles, c’est-à-dire que, pour combler les demandes des industries dites locales, que certains diplômes puissent être accordés de manière écourtée. Mais que vaut un diplôme obtenu de manière écourtée ?

La NAPAC n’est pas la seule organisation à s’opposer à cette nouvelle police du libéralisme. Le Syndicat général des professeurs et professeurs de l’Université de Montréal (SGPUM), la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep (FEC-CSQ) et la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN) ont fait part de leurs inquiétudes. Le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) a aussi émis des doutes.

L’heure est donc, effectivement, grave. Les étudiants ne doivent pas être réduits au statut de main d’œuvre.

Simon-Pierre Savard-Tremblay

Via Le Journal de Montréal