Les enquêtes d’opinion nous l’indiquent : le débat sur l’identité reprend du service. Six ans ont passé depuis la mise en place de la commission Bouchard-Taylor par un gouvernement désireux d’étouffer un débat de plus en plus difficile à gérer politiquement en raison de sa soumission totale aux principes canadiens en la matière. Aujourd’hui, les Québécois rouvrent le dossier à l’occasion de ce qui a été coulé dans les médias concernant la Charte des valeurs québécoises, censée réaffirmer notre héritage occidental de laïcité et d’égalité entre les hommes et les femmes.
La mise en place d’une charte ferme, mais juste, vise la cohésion sociale par la cohérence institutionnelle, soit par la transformation de l’identité en doctrine d’État, plaçant la culture de la majorité historique française au centre de l’action gouvernementale - comme la loi 101 en a jadis été un jalon majeur. Nos institutions doivent donc relayer ce qui unit l’ensemble des composantes de la société, tout en constituant un lieu de convergence par rapport à ce qui nous distingue et nous divise.
Or, ici, rien n’est réinventé. En 1978, le gouvernement du Parti québécois adopte « La politique québécoise du développement culturel », laquelle conçoit la culture de tradition française tel un foyer de convergence culturelle. La raison en est fort simple : en régime démocratique, les citoyens doivent pouvoir s’entendre sur un lieu commun d’échange. Comme jadis, nous le répéterons patiemment, il n’est pas question pour la culture de tradition française d’abolir les autres cultures sur notre territoire, mais bien de constituer un lieu de réunion concret, sensible, nécessaire à l’établissement d’un sentiment commun d’appartenance, d’une vision partagée du bien commun.
Car un fait demeure : l’enjeu identitaire est impensable s’il n’est remis dans le contexte du régime politique qui est imposé aux Québécois, soit celui d’une province en perte de moyens au sein d’un ensemble niant perpétuellement sa spécificité nationale. Cette négation se traduit par des assauts juridiques répétés contre les instruments du seul État où cette nation est majoritaire. Marqué par la dynamique majoritaire-minoritaire - et par celle d’une minorisation croissante pour les Québécois -, par le dédoublement des symboles, des chartes et des institutions, le présent contexte rend pour le moins ardue la définition de référents communs.
Logique proprement canadienne
Le multiculturalisme s’inscrit dans une logique proprement canadienne, soit celle d’une mission civilisatrice, doublée de la légitimation par Ottawa de son propre pouvoir de déterminer quels aspects de la culture québécoise sont acceptables à traduire en tant que politiques publiques, et lesquels ne le sont pas. Par son refus de reconnaître constitutionnellement la nation québécoise - contrairement à la minorité anglophone du Québec, qui a droit à une mention dans le texte de 1982 -, l’État canadien montre bien les limites de sa « tolérance » envers l’affirmation culturelle de cette dernière. Il ne tient désormais qu’à nous de définir ce que nous sommes, et ce, bien en marge d’une Constitution canadienne imposée, à laquelle l’État du Québec n’a toujours pas adhéré.
Là où il faudrait y voir la réaffirmation d’une culture nationale à travers l’État, l’établissement de règles formant la base du vivre-ensemble et d’un pacte civique que l’on pourrait qualifier de citoyenneté, certains - visiblement allergiques aux concepts de collectivité et de choix de société - préfèrent ne parler qu’en termes de « droits individuels ». Résultat : on peine à envisager le devenir de la société québécoise autrement que par le spectre d’une communauté fragmentée, où l’émancipation personnelle figurerait comme seul horizon de vie. Or, c’est justement parce que les Chartes de droits et libertés existent et prennent un espace considérable dans nos vies que nous proposons de retrouver un équilibre en adoptant de nouvelles politiques de convergence culturelle.
Intérêt national
Dans le dossier de la Charte des valeurs québécoises, l’intérêt national semble actuellement guider davantage le gouvernement que la « peur d’avoir peur », si toutefois les informations coulées sont vraies.
La politique proposée rompt avec le bonententisme et avec la recherche perpétuelle du consensus qui ne vient jamais et qui fait en sorte que, bon an mal an, rien ne change dans la « province » de Québec. Dans cette perspective, elle reconnecte avec le sens de l’État et de l’Histoire.
Nous invitons le Parti québécois à ne pas céder à la tentation de la diluer dans d’éternels compromis, et croyons qu’il serait plus judicieux de la maintenir dans sa forme la plus ferme - car juste. En cas d’échec de l’adoption de la Charte, les partis d’opposition n’auront qu’à rendre des comptes lors de l’élection générale.
Une « charte » qui ne se serait contentée que de produire des changements cosmétiques produirait des effets qui seraient de courte durée. Il est temps de rompre avec les vieux réflexes des occasions manquées. Par une Charte ferme, notre gouvernement nous engagerait de manière décomplexée sur la voie d’un véritable État moderne qui nous permet de faire nation, au jour le jour. La Charte ne doit pas s’inscrire dans un repli identitaire confortable en contexte provincial, mais dans un projet d’ensemble visant l’établissement de notre culture nationale comme référence commune. Si elle n’est pas une panacée, elle n’en constitue pas moins une étape fondamentale dans un grand processus.
Signataires:
Simon-Pierre Savard-Tremblay
Candidat à la maîtrise en sociologie, UQÀM
Président de Génération Nationale
Mathieu Pelletier
Candidat à la maîtrise en sociologie, UQÀM
Vice-président de Génération Nationale
Frédéric Bastien
Professeur d’histoire au Collège Dawson
Auteur du livre « La bataille de Londres »
Louise Mailloux
Professeure de philosophie, Cégep du Vieux-Montréal
Guillaume Rousseau
Professeur de droit, Université de Sherbrooke
Gilles Toupin
Journaliste
Tania Longpré
Candidate à la maîtrise en didactique du français langue seconde, UQÀM
Auteure du livre « Québec cherche Québécois »
Frédéric St-Jean
Président du Comité national des jeunes du Parti Québécois
Xavier Barsalou-Duval
Président du Forum Jeunesse du Bloc Québécois
Martin Marier
Professeur de philosophie, Collège St-Hyacinthe
Anaïs Valiquette-L’Heureux
Doctorante en administration publique, École Nationale d’Administration Publique
Louis-Phlippe Messier
Journaliste
François Côté
Avocat
Maxime Laporte
Juriste et candidat à la maîtrise en sciences politiques, UQÀM
Étienne Boudou-Laforce
Candidat à la maîtrise en service social, Université de Sherbrooke
Émilie Gélinas
Candidate à la maîtrise en sociologie, UQÀM
Alexandre Cadieux-Cotineau
Candidat à la maîtrise en sociologie, UQÀM
Mathieu Gingras
Candidat à la maîtrise en Littérature et arts de la scène et de l’écran, Université Laval
Karolane Baillargeon
Étudiante en médecine, Université McGill
Jocelyn Beaudoin
Étudiant, École du Barreau du Québec
Jean-René Roy
Bachelier en droit civil et étudiant de deuxième cycle en Common law nord-américaine, Université de Montréal
Sébastien Bilodeau
Candidat à la maîtrise en travail social, Université de Montréal
Cynthia Plourde
Candidate à la maîtrise en sociologie, UQÀM
Guillaume Blanchet
Maître ès sciences appliquées, École Polytechnique de Montréal
Marie-Pier D. Dallaire
Candidate à la maîtrise en droits fondamentaux et collectifs, Université Laval
Jérôme Peer-Brie
Candidat à la maîtrise en philosophie, Université Laval
Émile Grenier-Robillard
Candidat à la maîtrise en histoire contemporaine, la Sorbonne
Pierre-Benoit Cormier
Candidat à la maîtrise en affaires publiques, Université Laval
Olivier Lemieux
Candidat à la maîtrise en politique appliquée, Université de Sherbrooke
Patrice Vachon
Doctorant en économique, Université Laval
Julien Gaudreau
Candidat à la maîtrise en relations industrielles, Université Laval
Vincent-Gabriel Langlois
Candidat à la maîtrise en affaires publiques, Université Laval
Responsable régional de la Capitale-Nationale, Comité national des jeunes du Parti Québécois
Valérie Vézina Dubois
Candidate à la maîtrise en sociologie, UQÀM
Guillaume Cyr
Candidat à la maîtrise en physique, Institut national de recherche scientifique
Joël Germain
Maître ès sciences, Université Laval
Félix Pinel
Enseignant, Polyvalente Deux-Montagnes
Jérôme Blanchet-Gravel
Auteur du livre (à paraître) « Le nouveau triangle amoureux : Gauche, islam et multiculturalisme »
Kenny Duque
Étudiant, École du Barreau du Québec