Le français se die

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Récemment, Mela Sarkar, sociolinguiste et professeur à l’Université McGill, y est allé de quelques observations à l’égard du franglais et du groupe Dead Obies. Elle soutient notamment que «La grande proportion d’anglophones autour de nous » menace davantage notre langue que le franglais de Dead Obies, puis également que ce n’est pas la première fois qu’on critique des artistes en lien avec l’usage de la langue française, rappelant que Michel Tremblay a « été sévèrement critiquée pour son joual il y a quelques décennies ».

 

Si nous partageons plusieurs des analyses de l’auteur, nous nous butons à plusieurs éléments de son discours. En effet, il est difficile de ne pas sourciller lorsque Mme Sarkar prétend que le « français mixte » démontre « la réussite de toutes les politiques linguistiques québécoises. » et qu’elle va à soutenir que « le français n’est pas mis en danger par les jeunes générations. » L’auteur semble nous dire qu’il n’y a pas véritablement de problème, que le français se porte bien, qu’il se renforcerait même.

 

Le recul du français au Canada et au Québec est pourtant statistiquement démontré par maintes études . Citons un passage de la conclusion du Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec (2011) de l’OQLF : « Il ressort de ces études que l’accroissement naturel des francophones et des anglophones -insuffisant pour assurer à lui seul le renouvellement des générations-, ainsi que l’immigration accrue, viennent modifier le portrait démolinguistique de la province. […] Il en découle une augmentation du nombre et de la proportion de personnes de langues maternelles tierces, une diminution du poids relatif des francophones et une stabilisation de celui des anglophones.» Rajoutons qu’« Entre les années scolaires 1991-1992 et 2010-2011, la proportion d’élèves de l’enseignement primaire et secondaire à l’extérieur du Québec inscrits à un programme régulier de français langue seconde d’une école publique a décliné de 24 %, passant de 1,8 million à 1,4 million. », pour citer cette fois-ci Statistique Canada, L’évolution du bilinguisme français-anglais au Canada de 1961 à 2011.

 

Nous aurions tort de nous croire à l’abri de ce qui est arrivé en Acadie, au Manitoba et en Lousiane. Il existe bel et bien une habitude de plus en plus répandue chez les moins de 25 ans qui consiste à passer du français à l’anglais au français, dans une même conversation entres interlocuteurs pourtant francophones. Prenons le désintérêt envers la culture québécoise, les taux d’échec entourant la maîtrise du français et les coupures dans la culture et nous avons un beau cocktail qui risque de nous exploser en plein visage dans quelques années.

 

Mais nommer ces choses, esquisser une fatigue voire une agonie culturelle à nos portes, ce ne serait pas approprié. « Il y a constamment des gens qui s’inquiètent et écrivent dans les journaux que la langue est en train de se dégrader », de dire Mela Sarkar. Se questionner sur une tendance linguistique serait ainsi un réflexe inconvenant. La chercheuse de McGill va même à dire, en concluant son intervention : «(…) au Québec, le racisme existe» -le tout en nous invitant à faire une psychanalyse!-. À ce propos, est-ce possible d’entrevoir un phénomène socio-linguistique et se faire critique de celui-ci sans se faire traiter de raciste? Est-il mal de vouloir protéger la langue française dans un des rares endroits du continent où on peut espérer vivre en français sans désavantage? Est-il anormal de vouloir protéger une culture qui apporte une couleur et une saveur différentes du reste de l’Amérique du Nord ?

 

Il advient que la défense du français n’est pas une agression, mais la réponse à une agression. Celle de l’anglais, qui gagne du terrain jour après jour dans toutes les régions du Québec. Attention, l’anglais n’a rien de problématique en soi, c’est notre démission face à notre langue commune et officielle qui l’est. Notre tendance à ne pas mettre les balises linguistiques qui s’imposent, si facile est-il de s’aplatir face à la culture anglo-saxonne qui nous entoure.

 

Concernant le groupe québecois Dead Obies, nous n’avons pas à leur imposer une responsabilité politique, le franglais n’a de toute façon rien de nouveau, comme réalité sociale et vecteur artistique. Ce sont des créateurs avant tout et ces derniers doivent demeurer maître de leur choix. Les membres de Dead Obies n’ont ainsi pas à être les bouc émissaires de la situation du français, ils ne sont qu’un symptôme d’une glissement linguistique s’opérant. Si l’on souhaite valoriser notre langue, nous devrions bien davantage mettre nos énergies à exiger la francisation des nouveaux québécois, le retrait de l’anglais intensif imposé, de même que nous opposer au bilinguisme institutionnel. Plus encore, nous sommes d’avis que la survie de notre langue et de notre culture devra passer par l’indépendance du Québec, ne serait-ce que parce que la Cour Suprême nous empêche de légiférer comme nous le voulons sur notre propre territoire (la loi 101 fût énormément charcutée par différents jugements) et que la loi sur les langues officielles est de compétence fédérale.

 

Pour terminer, la sociolinguiste Mela Sarkar a beau lancer à l’égard du franglais qu’il s’agit d’« un mouvement contestataire », « une manière de s’adapter », elle occulte de considérer le statut minoritaire du français dans le Canada, de même qu’elle fait fi de certaines réalités socio-politiques. Son propos apparaît comme une tentative de faire passer un geste d’acculturation comme un de  survivance. Pourtant, la généralisation du franglais incarne bel et bien l’un des symptômes du désintéressement de la langue française auprès des jeunes, et doit être considéré comme préoccupant.

 

 

Étienne Boudou-Laforce, responsable de la région de l’Estrie pour Génération Nationale

Charles Picard-Duquette, président des jeunes péquistes de l’Estrie,

Olivier Lacelle, ex-candidat d’Option nationale dans Gouin