Je suis de ceux qui apprécient beaucoup la tradition du « Devoir de philosophie » et je suis toujours ravi de voir que certains intellectuels font un effort méritoire pour nous présenter les idées d’un grand penseur tout en proposant du même coup une réflexion sur des questions d’actualité.
J’ai lu et relu, avec un intérêt jamais démenti, le texte de Simon-Pierre Savard-Tremblay sur un éventuel lien, ou « non-lien », entre les idées de Bernie Sanders et celles de Christopher Lasch, auteur que j’ai déjà fréquenté. (« Bernie Sanders ou le populisme imparfait », 28 mai)
Je pense que la pensée de Lasch est présentée très clairement, tout comme on nous présente convenablement certains éléments de la pensée de George Orwell.
Mais j’ai été étonné et déçu à quelques reprises. Par exemple, lorsque Savard-Tremblay nous parle du « socialisme » de Sanders tout en nous disant de manière ironique qu’ici, au Québec, nous jouissons déjà de plusieurs des droits ou « privilèges » réclamés par le sénateur du Vermont, cela me semble évident, tout en ne discréditant pas les demandes de Sanders. Les États-Unis et le Québec, ce sont deux entités sociétales très distinctes. Le Québec n’est pas le centre et le sanctuaire principal du néolibéralisme, de l’impérialisme et du capitalisme mondial. La comparaison entre le Québec (ou le Canada) et les États-Unis est donc un tantinet boiteuse.
La gauche états-unienne
Autre exemple : le sociologue et essayiste disserte sur la gauche états-unienne et sur le mouvement progressiste « déconnecté » qui « sévit » aux États-Unis. Je pense que, dans le contexte actuel, mondial et états-unien, il existe plusieurs gauches et plusieurs tendances progressistes. Il est clair qu’aux États-Unis, et ailleurs, la gauche vertuiste et « idéologiquement correcte » (je pense que la correctitude vertuiste est à la fois idéologique, culturelle et politique) a été très tapageuse, et plutôt totalitaire et intolérante. On en a amplement parlé. Cette gauche a imposé, de manière perverse et maligne, un lessivage langagier (une vraie javellisation) qui maintenant sert partiellement de tremplin à tous les Donald Trump de ce monde. Ce langage, démesurément vertueux et faussement respectueux, a fini par lasser de nombreuses personnes qui, parfois, ont fini par penser que ce courant incarne la totalité du mouvement dit progressiste. Cette gauche est plus préoccupée par le « racisme anti-animaux », par les transgenres et par les LGBT que par le sort de la grande majorité des citoyens. En écrivant cela, je ne me dissocie pas des combats des LGBT, mais je pense et je sais, moi aussi, que d’autres combats sont urgents et essentiels. J’applaudis lorsque Savard-Tremblay rappelle qu’aux États-Unis, les 10 % les plus riches contrôlent plus de 70 % de la richesse. Cela pose problème.
Je pourrais développer davantage une analyse de la correctitude idéologique, culturelle et politique, mais je dois revenir à l’impression primordiale : Savard-Tremblay réduit trop les idées et les causes défendues par les forces progressistes et de gauche. Aux États-Unis comme ailleurs il y a plusieurs gauches, fort heureusement. Par exemple, les progressistes influencés par Noam Chomsky, par le mouvement Occupy Wall Street, ou encore par le Coffe Party ne sombrent pas nécessairement dans l’angélisme du politically correct. Comme l’auteur, je pense qu’une certaine gauche méprise profondément le peuple qui, à ses yeux, est rétrograde et arriéré. Cette gauche, je la combats avec férocité. Je pense aussi qu’un relativisme benêt et irresponsable anime certains progressistes qui n’ont de progressiste que l’appellation. Le relativisme est, selon moi, une attitude méthodologique, et non pas une philosophie totalitaire.
Malgré ces commentaires, je sais gré à Savard-Tremblay de m’avoir amené à réfléchir aux positions de Bernie Sanders et de m’avoir rappelé certaines des idées de Christopher Lasch. J’aime bien aussi la référence à Jean-Claude Michéa, cet auteur stimulant et insolent.
Jean-Serge Baribeau