Alerte, tsunami ! Donald Trump a déjoué les pronostics. N’en déplaise à ceux qui prédisaient une victoire facile d’Hilary Clinton, non, tout ne va pas bien à Obamaland. Et oui, la majorité silencieuse existe bel et bien. Et ce qu’elle avait à exprimer n’était pas un message de joie et de satisfaction.
Ayant remporté les primaires par une des plus fortes mobilisations électorales de l’histoire, Trump a été dénoncé par les grandes figures de l’establishment républicain et par la droite religieuse, représentée par Ted Cruz. L’héritage guerrier et libre-échangiste des élites républicaines a été clairement répudié par la base du parti, qui a massivement choisi un candidat qui a ouvertement attaqué les deux derniers présidents républicains (Bush, père et fils) et les deux derniers candidats républicains (John McCain et Mitt Romney). Pendant les primaires, Trump a alors avancé des propositions comme celles de l’augmentation des impôts des fonds spéculatifs et de ceux des mieux nantis, du retour de la loi Glass-Steagall, qui avait été abolie par l’administration Clinton, séparant les activités bancaires de façon à empêcher que les investissements risqués puissent mettre en danger les avoirs des petits épargnants, en plus de s’opposer aux accords de libre-échange qui ont saccagé les états industriels et à la guerre en Irak.
À peine investi, le candidat Trump a tenté de se transformer en républicain dans la lignée des dernières décennies, choisissant un colistier « faucon » et avançant désormais un programme économique favorable aux plus riches, voulant désormais moins d’impôts, une couverture de santé privatisée et une finance dérégulée. Les élus républicains se battent depuis longtemps pour limiter les pouvoirs du Bureau de protection financière des consommateurs, lequel peut encadrer le pouvoir des banques créancières dans leurs relations avec leurs clients. Sur deux points, cependant, Trump a maintenu le cap sur ses positions avancées lors des primaires : le libre-échange et l’interventionnisme militaire à l’étranger.
Pendant cette longue et imprévisible campagne, Trump a accusé certains immigrants mexicains d’être des « violeurs », attaqué un journaliste handicapé, qualifié certaines femmes de « pigs », affirmé que John McCain n’était pas un héros, et ce, en plus de ses démêlées avec de nombreuses femmes qui l’accusent d’agression. Toutes ces gaffes mises ensemble, et même prises individuellement, auraient coulé n’importe quel candidat au cours d’une élection conventionnelle. Mais pas Donald Trump. Desperate times call for desperate measures, se sont probablement dit, intérieurement, de nombreux Américains avant de voter.
L’avenir du populisme américain
En cette ère de politiquement correct, le « populisme » est une des étiquettes les plus méprisantes pouvant être accolées pour disqualifier un acteur politique. Le terme est le plus souvent employé comme synonyme à celui de démagogie, comme si les petits perroquets du système libéral étaient exempts de cette dernière, eux qui se livrent régulièrement aux plus ridicules amalgames pour travestir le déclin en progrès.
Quoi qu’il en soit, le populisme, au sens classique, est pourtant noble. Le Parti populiste américain a historiquement représenté une alliance entre les ouvriers industriels et les petits paysans, proposant de renverser « le gouvernement de Wall Street, par Wall Street et pour Wall Street » par le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Parmi ses dirigeants, figurait la militante féministe Mary Elizabeth Lease, connue pour son activisme en faveur du droit de vote des femmes. Ce mouvement a eu un rôle marquant sur la mobilisation politique américaine, ayant notamment influencé un Martin Luther King.
Le candidat se rapprochant le plus de cette tendance était nettement Bernie Sanders. Mais il a été écarté de l’investiture démocrate par le biais de manœuvres discourtoises après avoir avancé des idées très courageuses sur le système financier. Car, disons le franchement, la mondialisation n’est pas « heureuse ».
La classe moyenne américaine est en colère contre une clique qui a abandonné depuis longtemps les intérêts supérieurs de la nation pour son seul profit, et Trump a gagné grâce à cette grogne, bien que l’on puisse légitimement craindre que cette récupération ne soit qu’électorale et qu’elle en vienne à la faire échoir en ne gouvernant que pour ceux qui se trouvent en haut de la pyramide. Si cela devait être le cas, le populisme au sens défini précédemment n’aura que perdu davantage de temps.
Les Démocrates auraient dû réfléchir un peu plus avant de magouiller grossièrement pour écarter Bernie Sanders, seul candidat capable d’incarner lui aussi cette révolte populaire et de lui offrir un programme cohérent.
Simon-Pierrre Savard-Tremblay