Il y a cinquante ans, la «commission BB» - La mission civilisatrice du Canada unitaire par Mathieu Pelletier
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6 mai 2013 | Mathieu Pelletier - Candidat à la maîtrise en sociologie (UQAM) | Canada
La commission Laurendeau-Dunton a presque entièrement été ignorée par Ottawa
Le Québec vit les premières années de sa Révolution tranquille en 1963. La conscience nationale vibre encore à l’unisson du « désormais » de Paul Sauvé et du « Maître chez nous » de Jean Lesage. La jeunesse du baby-boom, approchant graduellement de l’âge adulte, sait qu’elle porte en elle les moyens de ses ambitions nationales. Après deux siècles de patience, pour reprendre les mots du politologue Gérard Bergeron, le Canada français se réveille. La province de Québec devient l’État du Québec, compris comme étant le seul ensemble politique où les Canadiens français sont majoritaires.
Le gouvernement fédéral de Lester B. Pearson sait que le reste du Canada ne pourra pas toujours rester indifférent devant un tel état des choses. Devant la montée du nationalisme québécois, il mandate donc André Laurendeau, rédacteur en chef de ces mêmes pages, et Davidson Dunton, alors recteur de l’Université Carleton, pour présider une commission royale. Celle-ci est chargée « de faire enquête et rapport sur l’état présent du bilinguisme et du biculturalisme, et de recommander les mesures à prendre pour que la Confédération canadienne se développe d’après le principe de l’égalité entre les deux peuples qui l’ont fondée ».
Très rapidement, la commission Laurendeau-Dunton dérange. Elle dérange un Canada anglais longtemps habitué à être satisfait par l’état des choses. Au dire même de son coprésident canadien-anglais, Davidson Dunton, l’habitude du majoritaire aurait encouragé ce dernier à se complaire dans une mécompréhension tenace du principe d’égalité entre les deux peuples fondateurs, principe qu’il n’aurait jamais été enclin à voir porter à conséquence.
Un pays fondé sur la dualité
On reconnaîtra, à la lecture des premières pages du rapport préliminaire de la Commission, la plume et la pensée humaniste d’André Laurendeau. Pour lui, peut-on lire dans les fameuses pages bleues du premier volume du rapport, une langue est indissociable de la culture dont elle est le corollaire, tout autant que de la société dans laquelle ces deux aspects prennent vie. On retrouve donc au Canada deux grandes sociétés distinctes, deux personnalités nationales inscrites au coeur de la symbolique de la Constitution de 1867.
Une conception qui, d’ailleurs, n’a jamais été intériorisée majoritairement au Canada anglais. En effet, le rapport préliminaire fait état de profondes divergences en ce qui concerne la conception démocratique au Canada entre les deux peuples fondateurs. Au Canada anglais, on considère qu’il n’existe qu’une seule majorité, laquelle se déploie au sein d’un seul État, le Canada, « où la règle de la majorité ainsi que la liberté de l’individu sont des principes centraux ».
Quant à nous, Canadiens français du Québec, si nous étions d’accord sur la question des droits individuels et la règle de la majorité, une condition parallèle à leur application pleine et entière existait néanmoins. Sans récuser ces aspects propres à la démocratie libérale, la condition de minoritaire et le sentiment de précarité linguistique et culturel rehaussaient la nécessité de leur ancrage dans une communauté nationale.
Ainsi, si nous considérions les droits individuels comme étant de la plus haute importance, il fallait sortir ces derniers de l’abstraction pour les voir s’enraciner dans une communauté historique particulière : la nôtre. Nous réclamions donc une réelle égalité des chances, laquelle ne serait pas seulement théorique ou juridique. Nous voulions sortir du froid réalisme que nous imposait l’hiver de la survivance pour investir le rêve d’un Canada binational, fondé sur la dualité.
La mission civilisatrice de 1982
Or, il en fut autrement de l’évolution politique et constitutionnelle du Canada de ces dernières décennies. Laurendeau rend l’âme en 1968, sans pouvoir participer jusqu’au bout aux travaux de la Commission. Les balises du rapport sont néanmoins posées, mais Laurendeau manque à l’appel pour défendre les grandes lignes du rapport aux moments cruciaux des tractations politiques qui façonneront le Canada à venir.
Pierre Elliott Trudeau, élu premier ministre du Canada en 1968, ne retient guère plus du Rapport Laurendeau-Dunton que le terme de bilinguisme, qu’il établit de façon pancanadienne et faisant écho, désormais, aux droits individuels. Dès 1982, le bilinguisme et le multiculturalisme sont enchâssés dans la Constitution canadienne. Elle ne fait état ni du biculturalisme ni de sociétés distinctes. Trudeau aura finalement consacré, paradoxalement, l’unité du Canada dans la pluralité. Dans sa croisade contre le nationalisme québécois, il en a conclu qu’il valait mieux reconnaître toutes les différences culturelles pour mieux inhiber la spécificité québécoise.
Selon le politologue Guy Laforest, l’esprit de 1982 s’inscrit dans ce qu’il appelle le conquêtisme, soit une inaptitude tenace à vouloir dépasser la charge impériale, unitariste de la Conquête de 1760 et de l’Acte d’Union de 1840. En effet, comment ne pas y voir, du point de vue du Québec national, le spectre de Lord Durham, répudiant lui-même, en quelque sorte, la dualité en recommandant l’assimilation des Canadiens français ?
Trudeau et Durham, deux grands intellectuels libéraux, n’étaient-ils pas aussi partisans, à leur façon, d’une vaste mission civilisatrice libérale à l’endroit de la nation canadienne-française, puis québécoise ? L’assimilation des minorités nationales, dans le cadre d’un grand mouvement cosmopolite, moderne et progressiste, rendra la justice libérale accessible à tous.
Au nom d’une certaine idée de la modernité, au nom d’un projet de justice libérale monochrome, une certaine idée du Canada l’érige en avant-garde de l’universel, en grand précurseur de la démocratie cosmopolite. Aujourd’hui, de manière cohérente, figure encore au Canada anglais l’idée selon laquelle châtier la culture québécoise, s’adonner au Québec bashing, revient à faire oeuvre de civilisation.
Mathieu Pelletier - Candidat à la maîtrise en sociologie (UQAM)