http://leglobe.ca/2013/05/immigration-et-francisation-les-illusions-de-la-ministre-de-courcy/
Cette semaine se tenait au palais des congrès le deuxième salon de l’immigration et de l’intégration au Québec (SIIQ).
Initiative louable, celui-ci permet aux nouveaux arrivants de découvrir les possibilités d’emplois en région, de connaître une panoplie d’employeurs et un grand réseau d’organisme œuvrant en immigration à travers le Québec. C’est d’ailleurs dans ce cas qu’on peut se rendre compte que les services sont éparpillés et qu’il serait grand temps que soit mis sur pied un guichet unique de services en immigration. Pourtant, c’est exactement le contraire qu’on voit sur le terrain en voyant la multiplication des petits organismes qui ont la plupart du temps le désir de continuation culturelle plutôt que d’intégration véritable : le Québec aurait grandement intérêt à amalgamer tous les services offerts dans ces organismes sous un même toit, tel que suggérer par une multitude d’études portant sur l’immigration au Québec depuis plusieurs années. Pourtant, les ministres se succèdent et rien n’est mis en place.
Lors de ce salon fort intéressant (d’ailleurs d’initiative de mouvements citoyens où les immigrants apprennent beaucoup plus que dans l’information que leur donne le gouvernement) Madame de Courcy, ministre de l’Immigration et de la Charte de la langue française accordait une entrevue au journal Métro.
Elle y affirmait que nous « avons besoin des immigrants », le même discours que ces précurseures libérales elle dit même être prête à « accueillir un plus grand nombre d’immigrants, mais qu’il faut encore amenuiser les craintes face à la différence, qui barrent parfois le chemin aux nouveaux arrivants. » Madame de Courcy, bien qu’elle soit ministre de l’Immigration, démontre dans ses phrases et ses désirs une méconnaissance flagrante du terrain de l’immigration. Le contexte n’est pas du tout favorable à une augmentation des seuils : en fait, l’urgence présentement c’est de savoir combien le Québec est capable d’intégrer d’immigrants, que ce soit économiquement, linguistiquement et culturellement, puisque nous ne le savons pas et que Renaud Lachance, ex-vérificateur général du Québec le demandait déjà en 2011, pourtant, personne ne s’est encore penché sérieusement et scientifiquement sur cette question.
Avant de hausser les seuils, Madame de Courcy devrait s’assurer avec un comité d’experts de la capacité d’intégration du Québec. De plus, ne serait-il pas préférable de commencer par intégrer adéquatement ceux qui sont déjà ici et qui auraient bien besoin d’un coup de pouce avant d’augmenter l’immigration? Ce que je vois tous les jours sur le terrain n’est pas jojo : gens qui fréquentent les services d’aide alimentaires, francisation non obligatoire pour les adultes qui en auraient pourtant tous besoin, adultes ayant peine à payer un appartement décent avec les allocations ridicules qu’offrent le gouvernement pour la francisation, allocations qui ne sont offertes que pour les 33 premières semaines de francisation (ce qui n’est pas du tout suffisant, on offrait un niveau de plus avant que le PLQ ne l’offre plus en 2010).
La vérité, c’est qu’on n’investit pas assez pour franciser adéquatement et donner un niveau de français professionnels à nos néoquébécois (ils auraient pour cela besoin d’au moins 64 semaines, soit le double de ce qui est présentement offert, du moins, pour ceux qui désirent un niveau de français très avancé). Ce que nous voyons aussi, ce sont des immigrants francophones n’apprenant aucunement les codes culturels puisqu’ils ne fréquentent pas ni nos classes de francisation ni n’ont une formation spéciale. Notre ministre semble l’oublier, mais ce n’est pas parce que certains immigrants sont francophones qu’ils ont tous des mœurs semblables : une femme portant la burka, mais parlant français partage-t-elle nos codes culturels et sera-t-elle employable et de cette façon contribuer à l’économie? J’en doute. On oublie, de cette façon, le potentiel des nouveaux arrivants d’Europe de l’Est ou de l’Amérique du Sud qui ne sont pas francophones, mais ont des langues latines et des codes culturels semblables qui s’adaptent et s’intègrent en général plutôt bien au Québec.
Les seuils ne doivent pas être augmentés comme le souhaitait le Parti Libéral auparavant et le Parti Québécois qui reprend le même objectif : ils doivent être ajustés à nos capacités d’intégrations qui elles, sont encore à définir. De plus, l’instauration d’un guichet unique de service ainsi que la mise en place d’un service de régionalisation adéquat répondant aux exigences économiques de chaque région est urgent si nous voulons favoriser l’intégration des immigrants aux niveaux linguistiques, économiques et culturels. Cependant, ce sont des structures qui demandent du temps à mettre en place ainsi qu’une volonté politique, mais qui sont essentielles avant de hausser encore une fois les seuils d’immigration. D’ailleurs, je suggère à la ministre de lire l’excellent « Le remède imaginaire » de Benoît Dubreuil et Guillaume Marois qui remet les pendules à l’heure : le discours officiel de « nous avons besoin d’immigration » n’est probablement pas aussi véridique qu’elle ne le pense.
La ministre continue son entrevue en vantant les mérites de la « francisation en ligne ». Eh! bien, excepté le fait qu’elle coûte probablement beaucoup moins cher au gouvernement, j’aimerais bien qu’elle me trouve un spécialiste de la didactique des langues secondes qui affirmerait que ce concept est aussi bon, voire mieux qu’une vraie classe de langue : elle n’en trouverait probablement aucun. En effet, celle-ci ne crée par de situations authentiques entre pairs, ce qui ne donne pas d’aussi bons résultats qu’une classe régulière, qui devient un vrai laboratoire de langue et qui donne d’excellents résultats. Les immigrants vont-ils s’intégrer davantage à la société québécoise s’ils sont cloués à leur ordinateur? La francisation en ligne, c’est « mieux que rien », mais ça ne donnera jamais les mêmes résultats. Souvent, des gens qui sont passés par la francisation en ligne ou par les cours de l’Alliance française, lorsqu’ils sont évalués dans nos centres de francisation, sont classés au niveau débutant : le même parcours que quelqu’un qui n’a jamais fait de français auparavant. Bref, la francisation directement au Québec en classe de langue apporte une possibilité d’exploration terrain, un vrai contact entre apprenants, une « coconstruction » langagière ciblée, une meilleure possibilité de correction phonétique (même un bon micro ne donne pas toujours le son juste dont l’enseignant de francisation a besoin pour apporter une correction phonétique.) En étant chez lui, l’étudiant n’est pas en contact réel avec la culture qu’il va bientôt rejoindre.
Bref, encore une mesure pour économiser qui n’apportera jamais le même niveau de résultat : pourtant, franciser nos immigrants devrait être un domaine où le coût est secondaire : n’est-ce pas une priorité de franciser adéquatement l’ensemble de nos immigrants plutôt que de le faire à moindre coût? Une collègue me disait avec justesse que la francisation en ligne, c’était la « solution miracle » des Ministres James et Weil qui en vantaient les « avantages » (lesquels?). Il est fort déplorable que Madame de Courcy reprenne le même agenda que ces prédécesseures libérales.
À la lumière de cette entrevue, ce n’est vraisemblablement pas elle qui aura la volonté politique nécessaire pour agir en immigration et poser les gestes qui s’imposent.