Le lundi 3 novembre dernier avait lieu le lancement d’un livre fort attendu : le souverainisme de province. Rédigé par Simon-Pierre Savard Tremblay (SPST), cet essai retrace l’histoire du mouvement indépendantiste des premières décennies du 20e siècle jusqu’à aujourd’hui. Son but est simple : faire le procès de la stratégie de l’étapisme dans le mouvement souverainiste.
Suite à la défaite historique du Parti québécois du 7 avril 2014 et, plus largement, du mouvement indépendantiste, une réflexion profonde s’amorce, ou du moins, doit s’amorcer. Elle ne peut et ne doit pas être purement cosmétique. La course à la chefferie du PQ se devait d’ailleurs d’en être l’un des principaux terreaux. Malheureusement, nous en sommes encore loin, bien qu’il soit possible d’espérer mieux dans les prochains mois. Le livre de SPST se présente donc comme une bouffée d’air frais pour sortir des sentiers habituels de la compréhension de la défaite.
Jusqu’à maintenant, une analyse complète du moment de l’apparition de l’étapisme et de ses impacts sur le mouvement indépendantiste n’avait encore jamais été réalisée. C’est le coup de force que SPST réussit à accomplir en dressant l’historiographie du mouvement indépendantiste. Ainsi, l’auteur ne fait pas que présenter des éléments visant à comprendre la récente défaite. Il ose proposer un changement complet de paradigme. SPST s’inscrit donc dans un courant qui, depuis quelques années, condamne l’étapisme. La création d’Option nationale est d’ailleurs directement reliée au fait que cette stratégie forme encore le cœur de l’action du PQ.
La critique de cette stratégie ne date pas d’hier. Les démissions des Parizeau, Laurin et autres, lorsque Lévesque endosse le beau risque, en forment l’un des exemples les plus clairs. Aujourd’hui toutefois, ce qui est surprenant et, par le fait même, encourageant, c’est qu’une proportion importante de ceux qui dénoncent l’étapisme sont des militants qui ne détenaient pas le droit de vote en 1995. Ainsi, c’est en bonne partie la nouvelle génération des moins de 35 ans qui désire revoir le cadre stratégique.
Si le Parti québécois souhaite véritablement se réformer, il doit oser un réel débat de fond entre (1.) l’étapisme actuel ou (2.) l’indépendantisme, tel qu’il était entendu lors des élections de 1970 et 1973. Au Bloc québécois la première option fut défaite par la deuxième. Comme l’écrit SPST, « l’ampleur du changement de paradigme qui s’opère au sein du Bloc en ébranle les structures en profondeur » (p.211). Plus loin, il ajoute : « [or,] le nouveau chef bloquiste, avant de convaincre les Québécois de sortir du carcan provincial, a pour premier défi de relégitimer une posture indépendantiste auprès des souverainistes. C’est dire où le mouvement souverainiste en est rendu» (p.211-2132). En effet, l’étapisme a tellement voilé les yeux des souverainistes sur l’objectif premier de l’indépendance que dès qu’il fut élu, M. Beaulieu fut traité en premier de « radical » non pas par des fédéralistes, mais bien par des souverainistes !
C’est d’ailleurs à ce niveau que se situe tout l’enjeu des prochaines élections fédérales pour le Bloc Québécois et pour tous les indépendantistes. Pour cette élection, le but du BQ se décline en deux objectifs. Le premier est de coaliser le vote de tous les indépendantistes, quelle que soit leur allégeance sur la scène québécoise. Il réussira à le faire en rebrassant le seul ciment qui a toujours su faire tenir la coalition des indépendantistes : l’indépendance. C’est d’ailleurs en tenant un discours assumé et sans imprécision qu’il parviendra à réaliser le deuxième objectif : recommencer à faire le procès du système fédératif canadien. Comme SPST l’écrit, le BQ se doit de cesser d’agir «comme une « loyale opposition de Sa Majesté », disciplinée et respectueuse du parlementarisme canadien » (p.202) et, avec Mario Beaulieu comme chef, le parti a toutes les chances d’y parvenir.
Évidemment, l’indépendance ne se fera pas à Ottawa. Toutefois, le BQ est dans une excellente position pour brasser la cage aux fédéralistes, qui ne font que promouvoir le statu quo sans jamais expliquer en quoi le fédéralisme serait meilleur que l’indépendance. Ainsi, le BQ a l’occasion d’incarner le discours du renouveau, du retour aux sources, au sein des forces indépendantistes.
Les élections de 2015 apparaissent comme un véritable test pour les indépendantistes de tous les horizons. S’ils n’arrivent pas à se coaliser au sein du BQ, alors qu’il est le seul parti indépendantiste sur la scène fédérale, comme alors prétendre qu’il serait possible de former une alliance entre trois partis sur la scène québécoise ? Pire, si les indépendantistes ne croient pas en leur propre option et renient l’approche assumée du Bloc Québécois, comment peuvent-ils espérer un jour pouvoir parvenir à l’indépendance sur la scène québécoise ? Il ne faut donc absolument pas sous-estimer l’importance des élections fédérales à venir. L’enjeu au cœur de ces dernières dépasse, et de loin, la simple question de la pertinence du Bloc, question que j’ai déjà en partie analysée ici.
Comme le conclut SPST, « ce n’est que lorsque l’indépendantisme s’affranchira de ce provincialisme qu’il renouera avec ce qu’il est vraiment et qu’il cessera d’être un souverainisme de province » (p.224).
Jocelyn Beaudoun
Via Huffington Post