Pour en finir avec le provincialisme et la petitesse

Un livre-événement de Simon-Pierre Savard-Tremblay
Pour en finir avec le provincialisme et la petitesse
« Le souverainisme de province » ou l’art de mettre le doigt sur le bobo

Dans le contexte difficile de la défaite du Parti québécois aux élections du 7 avril dernier et dans la foulée de l’important examen de conscience que s’est imposé le mouvement indépendantiste depuis, le premier essai du président-fondateur de Génération Nationale et membre du conseil d’administration de La Société des amis de Vigile, Simon-Pierre Savard-Tremblay, tombe à point nommé. Et c’est peu dire.

Voilà un ouvrage – au titre évocateur et cinglant de Le Souverainisme de province * - qui met pour ainsi dire le doigt sur le bobo et qui explique de façon succincte et brillante le bourbier dans lequel s’est peu à peu enfoncé le PQ – et cela vous étonnera sans doute – depuis déjà le début des années 70. C’est du moins la thèse avancée et démontrée par l’auteur. Le mouvement indépendantiste incarné par le PQ, affirme M. Savard-Tremblay, s’est pour ainsi dire dès ses premiers pas politiques, ou presque, lancé sur la mauvaise pente. Cette erreur d’aiguillage a mené inexorablement le PQ droit dans le mur, comme nous l’avons douloureusement constaté lors de la déroute électorale d’avril 2014.

« Le souverainisme a changé brusquement d’orientation, résume M. Savard-Tremblay dans sa conclusion à l’essai, lorsqu’il a opté, dans le but de contourner les insécurités identitaires, politique et économique, pour la séparation de l’action gouvernementale et de sa raison d’être. C’était l’enclenchement d’une bombe à retardement qui a privé le souverainisme de ses assises. »

La fatidique carte de rappel

Et ce grand éloignement d’un indépendantisme « clair et cohérent », celui des Jacques Parizeau, Camille Laurin et Jean Garon, pour ne nommer qu’eux, a pris racine dès 1973 lorsqu’à la veille de la campagne électorale l’envoi d’une carte de rappel aux électeurs, qui noyait le poisson en promettant aux Québécois qu’ils allaient tout simplement élire « un bon gouvernement » de province qui ne toucherait pas au statut constitutionnel du Québec, changeait du tout au tout l’approche du PQ. De la critique acerbe du provincialisme et du régime canadien, le parti de René Lévesque s’enfonça dans la gouvernance provinciale aplatissante. Il se jeta dans l’étapisme, faisant fi de la vitale idée de rupture qui avait donné naissance, notamment avec le RIN, à l’indépendantisme québécois. Dès l’année suivante, nous rappelle M. Savard-Tremblay, cette approche bonne-ententiste allait devenir la pierre angulaire du programme politique du PQ qui se contenterait de bien gouverner la province pour ensuite proposer un accord de souveraineté-association avec le Canada. L’auteur parle même à propos de ce virage de « l’enclenchement d’une bombe à retardement qui a privé le souverainisme de ses assises ».

« La volonté d’imposer de telles ornières idéologiques, ajoute le sociologue, veut en réalité pallier l’incapacité de penser l’intérêt national. »

L’erreur de 1973 s’est perpétué jusqu’à nos jours, en excluant bien sûr l’ère Jacques Parizeau qui remit l’indépendantisme au premier plan sous son trop court règne.

Le ver était dans la pomme

Avec l’étapisme, le ver était dans la pomme. Cette approche fut le commencement de la fin, ce que M. Savard-Tremblay appelle avec justesse « la déprogrammation progressive de l’indépendance comme acte de rupture ». Le PQ venait de s’accommoder du cadre provincial avec en prime la thèse suicidaire de l’indissociabilité de la souveraineté de l’association et avec en surprime le fouillis naïf d’un processus d’accessibilité à cette souveraineté-association qui devait obligatoirement passer par deux référendums, l’un pour l’obtention d’un mandat de négocier avec Ottawa et l’autre pour entériner les résultats de cette négociation. Autant dire nous jeter pieds et poings liés aux pieds de l’adversaire fédéraliste qui aurait tout le loisir, à la lumière de cette stratégie ouverte, de nous enfoncer à sa guise. Pas étonnant que le PQ mordit la poussière lors du référendum de 1980 et qu’il fût réélu en 1981 après que René Lévesque eût exclu complètement la souveraineté de la campagne électorale.

Et pour enfoncer le clou, il y eut l’affront de 1982 (le rapatriement unilatéral de la Constitution par Trudeau) qui ancra davantage l’isolement du Québec « comme minorité culturellement dévalorisée et éliminant la capacité de cette dernière de s’incarner au sein de ses institutions ».

L’analyse de Simon-Pierre Savard-Tremblay est implacable ici, assassine même tant elle s’accroche à la vérité des faits et se transforme en reproche cuisant contre certains stratèges du PQ. Il écrit : « Contre toute logique, le durcissement du régime d’Ottawa n’entraîna pas celui des souverainistes. » (Ah bravo les pleutres !) On se mit à parler de « beau risque ». L’essayiste parle ici lui de « dérive » et il a bien raison. L’hémorragie de l’aile indépendantiste du parti ne faisait que commencer. Même le Bloc québécois (dont l’auteur fut président de l’aile jeunesse), après le coup de boutoir de l’échec des Accords du lac Meech en 1982 qui reconnaissait le caractère distinct du Québec, sombra rapidement dans l’étapisme en tant que « loyale opposition de Sa Majesté ».

Les leçons de l’histoire

Nous ne pouvons nous empêcher de penser ici qu’à cet égard le nouveau chef du Bloc québécois, M. Mario Beaulieu, eût raison de résolument se distancier de l’approche de ses prédécesseurs. C’est l’une des leçons, parmi tant d’autres, que le lecteur peut tirer de cette magnifique fresque brossée par l’auteur.

Donc la liste des enlisements provinciaux des gouvernements qui ont suivi le gouvernement véritablement indépendantiste de Jacques Parizeau est interminable et elle culmine, selon M. Savard-Tremblay, avec l’affaire Michaud. « Plutôt qu’une exécution de la personne d’Yves Michaud, écrit-il avec lucidité, pour l’empêcher de faire acte de candidature pour le PQ dans la circonscription de Mercier, c’était une tentative de stigmatiser une certaine frange indépendantiste en la montrant comme l’incarnation du vieux Canada français ethnocentriste et revanchard. »

Les « incohérences doctrinales » du Parti québécois ont été catastrophiques ; elles ont notamment, relate Simon-Pierre Savard-Tremblay, montré la porte à un Bernard Landry – qui aurait dû être celui qui nous aurait menés à l’indépendance nationale. Même « la gouvernance souverainiste » fut un échec. « Pauline Marois, écrit encore M. Savard-Tremblay, a été, comme elle le souhaitait, la première première ministre du Québec, alors qu’elle aurait dû aspirer à en être la dernière. »

Et le Bloc dans tout cela ? Il a été décimé, analyse l’essayiste, « après avoir adopté une posture presque identique à celle du parti qui l’a supplanté comme représentant de la nation québécoise à Ottawa, le Nouveau Parti démocratique : celle de la critique politicienne plutôt que du procès du régime canadien. » Ne cherchez donc plus la cause du désintéressement des Québécois envers le Bloc pré-Mario Beaulieu. Vous venez de la lire.

Le poing de Péladeau

L’histoire avance cependant. Il y a eu le poing levé de Pierre Karl Péladeau, le 9 mars dernier, qui annonce peut-être l’avenir. « Péladeau, écrit M. Savard-Tremblay, a forcé le PQ à faire face à sa mission historique (…) ». Ses adversaires l’ont certainement compris et il n’est pas étonnant qu’ils cherchent par des moyens on ne peut malhonnêtes à l’abattre.

Le remède à tout le marasme engendré par le souverainisme provincial existe, nous rassure Simon-Pierre Savard-Tremblay. Nous avons identifié nos faux pas et nos erreurs. Il nous faut revenir à la défense de l’État-nation québécois ; il nous faut replonger dans le réel, celui du registre politique où doit se mener la lutte et quitter celui de l’idéal. Bref, le pays ne se fera pas tout seul comme le fruit mûr tombé de l’arbre de la pensée magique. Il faut un plan d’action et une détermination sans faille qui mette une fois pour toute la posture provincialiste de côté.

« Dans un tel contexte, le mouvement souverainiste n’a plus de temps à perdre à tenter de s’expliquer, de se faire comprendre ou de se faire respecter par le régime canadien. Les souverainistes doivent rompre avec la croyance futile qu’ils peuvent limiter les dégâts. À l’heure où les défis sont plus grands que jamais pour le Québec, c’est par une posture résolument indépendantiste que les souverainistes pourront faire valoir que le régime canadien condamne le Québec à gaspiller son potentiel tout en le contraignant à d’éternels compromis ridicules, à se satisfaire de demi-mesures. »

Une nouvelle Révolution tranquille

Le parcours historique et nuancé auquel nous convie Simon-Pierre Savard-Tremblay est remarquablement bien mené, c’est-à-dire avec toutes les subtilités qui différencient la pensée des uns et des autres depuis Lionel Groulx à nos jours. Le propos est clair, concis et fait figure de véritable pamphlet pour l’avènement d’une nouvelle Révolution tranquille qui nous conduira à l’indépendance national. Ce livre est un événement en soi en cette époque d’examen de conscience et de reconstruction.

(*) Le Souverainisme de province, par Simon-Pierre Savard-Tremblay, Les Éditions du Boréal, Montréal, 2014, 226 pages.

Gilles Toupin
Via Vigile.net