La trahison de Maria Mourani

Cette lettre ouverte est bien différente des analyses que je produis à l’habitude. Cette lettre, je n’aurais jamais voulu l’écrire et cela paraitra sans doute au fil de la lecture.

J’ai adhéré au Bloc Québécois le jour même de mon seizième anniversaire. Je suis donc devenu membre dès le jour où il m’était statutairement permis de le faire. Je souris quand je repense à ce jeune homme idéaliste qui était si empressé de pouvoir contribuer modestement à la cause de l’indépendance nationale. J’ai aujourd’hui vingt-cinq ans, mes convictions n’ont pas bougé d’un iota, conservant la même passion dans ce combat qui est le mien et qui le restera jusqu’à ce que nous obtenions gain de cause. Par contre, âge adulte et expérience politique aidant, certaines de mes illusions se sont évaporées au cours de mon évolution au Bloc Québécois : j’ai appris ce qu’était un parti politique, avec ses jeux de coulisse internes. J’ai parfois été déçu par mon parti, estimant même qu’il était en bonne partie lui-même responsable de sa défaite le 2 mai 2011. Il me semblait faire notamment trop souvent le jeu du régime canadien, ce qui portait atteinte au procès du fédéralisme dont il devait se faire le porteur. Le Bloc Québécois me semblait véhiculer un projet intimement associé aux idéaux et aux intérêts d’une gauche politique à laquelle je ne m’identifie pas vraiment. Pourtant, jamais il ne me serait venu à l’esprit d’abandonner un objectif aussi important que celui de la libération de ma nation parce que celle-ci ne s’opérerait pas à mes conditions. L’égocentrisme messianique, très peu pour moi. Malheureusement, on ne peut en dire autant de tous et de toutes par les temps qui courent…

À mesure que s’ajoutaient de nouvelles responsabilités à mon implication au sein du Bloc, j’ai découvert une travailleuse acharnée en la personne de Maria Mourani. Je m’étais renseigné sur cette femme que je connaissais alors peu : elle avait une des seules à défendre l’application de la loi 101 au niveau collégial lors du congrès du Parti Québécois en 2005, alors que cette idée était alors considérée comme hérétique. On la disait également proche de Jacques Parizeau, et même qu’elle était la protégée de Jean Campeau. Elle a alors immédiatement gagné mon respect, lequel n’a cessé de croître à mesure que je la voyais soutenir activement les divers mouvements de défense de la langue française. Plusieurs au Bloc estimaient que son indiscipline atteignait des bornes inacceptables. Pour ma part, je n’ai jamais eu de problème avec les prétendus moutons noirs au sein des machines partisanes, d’autant plus qu’elle s’en enorgueillissait pour justifier son caractère bouillant par la solidité de ses convictions indépendantistes. Il allait de soi qu’elle méritait de ma part une attention toute particulière lors des élections, et j’ai même choisi de me joindre à son exécutif de circonscription sans y habiter.

J’étais avec son équipe vers les deux heures du matin en 2008 lorsqu’elle a été réélue avec une majorité des plus minces. Même son de cloche en 2011. Cette année-là, le Bloc était décimé par la « vague orange ». Je n’ai alors pas hésité un instant : il allait pour moi de soi que la direction du parti devait lui revenir après le départ de Gilles Duceppe. Je n’étais pas en accord avec l’ensemble de ses positions, loin s’en faut. Mais sa volonté de « libérer la parole » et de redonner une place prépondérante à l’aile jeunesse du parti, que je présidais alors, me semblaient constituer des raisons suffisantes pour lui donner mon appui. Les deux tiers de l’exécutif élargi du Forum Jeunesse du Bloc Québécois ont alors cru la même chose, faisant en sorte que notre instance l’a alors appuyé de bon cœur. Le destin aura plutôt voulu que nous perdions (Dieu merci !) notre élection et que la direction revienne plutôt à Daniel Paillé, à qui je souhaite au passage un bon repos du guerrier. Après mon départ du Forum Jeunesse, quelques mois de congé et une campagne électorale menée auprès de Djemila Benhabib, j’ai décidé de fonder mon propre mouvement destiné au parachèvement de l’État nation au Québec : Génération nationale. Après un premier lancement des plus réussis à Montréal le 18 janvier, nous avons décidé d’en organiser un second dans notre capitale, où le ministre Bernard Drainville était d’ailleurs présent. Quelle ne fut pas ma surprise de constater ce même matin, en parcourant les pages du Devoir, une lettre de Maria Mourani où, en plus de travestir nos propos et de reproduire la presque totalité des lieux communs du dogmatisme pseudo-diversitaire, mes collègues militants et moi-même se trouvions accusés –à mots couverts- de xénophobie -accusation originale s’il en est une. La Québécoise d’origine libanaise et née en Côte d’Ivoire que je souhaitais voir à la tête d’un grand parti indépendantiste était pourtant mieux placée que quiconque pour saisir toute la mauvaise foi –ou l’imbécilité- d’une telle accusation à mon endroit. Spécifions au passage que je siégeais alors toujours sur son exécutif de circonscription, recevant deux jours après un des habituels avis de convocation pour une réunion… Par ailleurs, étant en démocratie, Maria était totalement en droit d’être en désaccord avec les orientations de Génération nationale, et même d’exprimer son opposition dans les journaux. La moindre exigence de loyauté aurait cependant voulu qu’elle ne se livre pas à des amalgames boiteux et démagogiques, et qu’elle m’avise au préalable de l’envoi au Devoir de sa lettre calomnieuse.

Arrivent ensuite les événements de septembre, où Maria se livre à son amalgame boiteux (doux euphémisme…) qui associe laïcité et nationalisme ethnique. Elle est alors expulsée du caucus du Bloc Québécois. D’aucuns condamnent cette décision comme étant une négation du droit à la dissidence. Tous ont regretté ce triste épisode, dont Bernard Landry qui s’était offert comme conciliateur devant des centaines de partisans de la laïcité. Pourtant, son chef lui avait proposé de se retirer temporairement du caucus pour mener son combat comme bon lui semblait. Elle ne l’a pas accepté. Elle a préféré (était-ce planifié ?) jeter le parti et le pays avec le projet de Charte de la laïcité, attirée par le chant des sirènes (électorales) justiniennes. Le vocabulaire qu’elle emploie pour décrire la Charte n’est d’ailleurs pas bien loin de celui de son futur chef. Elle évoque également désormais le caractère anticonstitutionnel, argument qu’elle rejetait avec virulence au moment de défendre avec virulence la loi 101, estimant alors qu’il était ridicule de vouloir se contenter des limites structurelles imposées par le régime canadien.

Maria Mourani écrit, justifiant sa sortie du placard : « J’ai si souvent entendu que « ce n’est pas le rôle du Bloc Québécois d’améliorer la fédération ». Une attitude qui, même bien accueillie par la majorité des militants bloquistes, constitue pourtant, selon moi, l’une des profondes raisons de la grande défaite du Bloc Québécois en 2011 ». Pourtant, lors du Conseil général du Bloc Québécois de septembre 2011 où nous tentions de tirer les leçons de la défaite, j’ai alors fait -devant l’ensemble des délégués- le constat inverse, soit de la légitimation du Canada par le Bloc comme étant la cause principale de la défaite, à l’instar de son inscription exclusivement à la gauche de l’échiquier politique (laissant pour compte les indépendantistes d’autres obédiences) et j’ai alors même invité les bloquistes à placer la défense de notre identité nationale au cœur de leur démarche. Devinez qui, à cet instant même, m’a envoyé un sms afin de me féliciter pour la qualité et la justesse de mon rapport ? Celle qui se préparait à se lancer dans une course à la chefferie et qui cherchait désespérément des appuis.

Maria nous dit donc que le Canada serait devenu la meilleure garantie de protection de notre identité. Humour involontaire ? Je le crains. Je ne chercherai cependant pas ici à compiler l’ensemble des revirements et des contradictions opportunistes de la députée d’Ahuntsic : j’ai déjà perdu suffisamment d’années à soutenir une personne mesquine qui n’en valait aucunement la peine, tout comme je gaspille présentement temps et efforts à rédiger un texte sur Maria Mourani plutôt que de me consacrer à mon mémoire de maîtrise dont le sujet est beaucoup plus intéressant que la nouvelle fédéraliste d’Ahuntsic. Son sympathique attaché politique, qui la suit dans cette aventure, peut d’ailleurs se retenir de me qualifier de « patriote » comme il le fait quand il me salue en public : nous n’avons définitivement plus la même patrie. Je conclurai ici en rappelant à ceux qui ont déchiré leur carte du Bloc Québécois en septembre dernier et qui l’ont conservé en souvenir que le ruban adhésif transparent est disponible dans toutes les bonnes boutiques. Quant à toi, Maria : bon passage au PLC !

Simon-Pierre Savard-Tremblay
Ex-président du Forum Jeunesse du Bloc Québécois
Ex-membre de l’exécutif du Bloc Québécois d’Ahuntsic

via Vigile.net